Cet article
a été rédigé par un reporter d'AgoraVox,
le journal média citoyen qui vous donne la parole.
Nicolas Sarkozy
a-t-il eu la main heureuse en nommant le fringuant député-maire
d'Asnières-sur-seine, Manuel Aeschlimann, "Monsieur opinion
publique" de l'UMP ? Au vu de son brillant curriculum vitae de
météorite politique, et du rythme auquel il envoie au
patron du parti majoritaire des notes affûtées sur les
attentes des Français pour 2007, certainement.
Mais l'actuel ministre
de l'intérieur et futur candidat présidentiel sera peut-être
surpris d'apprendre que sa nouvelle recrue ne se limiterait pas à
étudier l'opinion publique. L'élu d'Asnières (Hauts-de-Seine)
aurait aussi tendance à la manipuler, quand il ressent le besoin
de mettre au pas une opposition locale trop remuante à son goût.
"Carte de presse"
a en effet appris qu'une dépêche de l'Agence France-Presse
(AFP), au contenu très contrariant pour Manuel Aeschlimann, avait
été l'objet de ce qui ressemble furieusement à
une censure. Et le député-maire d'Asnières, sa
réputation de Sarko boy, ainsi que sa manie des plaintes en diffamation
ne seraient pas pour rien dans la "courageuse" décision
de la hiérarchie de l'AFP de garder sous le coude la désobligeante
enquête.
Interrogé
par "Carte de presse", l'auteur de l'article en question,
Marc Bastian, correspondant de l'AFP pour les Hauts-de-Seine, s'est
limité à un simple et bref "pas de commentaire".
Manuel Aeschlimann, pour sa part, nous a confirmé avoir évoqué
la dépêche préparée par Marc Bastian avec
Pierre Taillefer, le directeur de l'information de l'AFP. Ce que reconnaît
ce dernier. Mais le numéro deux de l'agence, également
interrogé par "Carte de presse", dément par
contre toute censure. Et il rejette tout lien entre sa discussion avec
le maire d'Asnières et la décision de "passer à
la trappe", selon sa propre expression, l'enquête prête
à être diffusée sur le fil de l'AFP dès le
29 octobre dernier.
Mais revenons d'abord
un peu en arrière, pour tenter de comprendre le funeste sort
réservé à cette dépêche.
Le 22 octobre dernier,
le quotidien Le Monde publiait deux articles sur ce qui allait rapidement
devenir "l'affaire Elahi" dans les médias. Le journaliste,
Gérard Davet, y révélait que la Direction centrale
des renseignements généraux (DCRG) et la Direction de
la surveillance du territoire (DST) avaient dans leur ligne de mire
une "organisation Elahi". Dans une note datée du 7
septembre, la DCRG qualifiait, en substance, de secte cette nébuleuse
mystico-religieuse d'origine iranienne, basée à Asnières,
qui essayerait d'infiltrer les institutions municipales. Rien que cela
! Voilà une note des RG tombant comme pain béni pour Manuel
Aeschlimann, qui dénonçait justement, depuis un moment,
les agissements du supposé gourou Bahram Elahi, un de ses administrés,
et de sa supposée secte. (Pour plus de détails, lire les
articles du Monde en cliquant ici)
Mais le journaliste
du Monde a négligé d'informer ses lecteurs du fait que
le maire d'Asnières avait un ancien et lourd contentieux, sur
des questions d'urbanisme, avec des associations de quartier dont certains
animateurs étaient également membres de la Fondation Ostad
Elahi, sise à Paris et présidée par son fils, le
"gourou" Bahram Elahi. De là à imaginer que
Manuel Aeschlimann pourrait avoir eu intérêt à intimider
des associations locales flirtant de plus en plus avec son opposition
municipale, il n'y a qu'un pas, franchi sans hésitation par Luc
Bérard de Malavas. "La polémique récente autour
de la Fondation Ostad Elahi est une machination politique venant de
l'UMP", a déclaré à l'AFP le président
du groupe socialiste au Conseil municipal d'Asnières. Ambiance
!
L'histoire de la
menaçante "organisation Elahi" révélée
par Le Monde allait en tout cas rapidement connaître un franc
succès dans les médias (AFP, FR3 Île-de-France,
Canal Plus, 20 minutes, Marianne...). Parfois agrémentée
du terrifiant témoignage d'un supposé ex-adepte, Mohammad
Farshid Samali, affirmant avoir les tueurs d'Elahi aux trousses. Aux
journalistes qui s'informent à la mairie d'Asnières sur
cette affaire, Manuel Aeschlimann ou son directeur de cabinet, Francis
Pourbagher, propose en effet, outre un volumineux dossier à charge
contre la "secte", une rencontre avec ce témoin providentiel...
Alors que contient
donc de si dérangeant, pour l'élu d'Asnières, l'article
qui n'est pas devenu jusqu'à ce jour une dépêche
officielle de l'AFP ? Selon les informations de "Carte de presse",
cette enquête nous apprend, sources de haut niveau à l'appui,
que la communauté française du renseignement n'a mené
en réalité aucune investigation sur ladite "organisation
Elahi". Plus étonnant encore : les auteurs de la note des
RG citée par Le Monde assurent que son inspirateur ne serait
autre que... Manuel Aeschlimann lui-même.
Susciter une note
des RG, manipuler Le Monde et obtenir la censure de la contre-enquête
de l'AFP : franchement, si tout cela est vrai, même pour un "Monsieur
opinion publique", chapeau !
Le député-maire
d'Asnières dément évidemment cette présentation
des faits. Il jure ses grands dieux qu'il a appris l'existence de la
note des RG en lisant Le Monde. D'autre part, selon lui, il a appelé
Pierre Taillefer, le directeur de l'information de l'AFP, le 9 novembre
dernier, parce que ses avocats venaient de lui apprendre que les conseils
de la Fondation Ostad Elahi avaient utilisé la dépêche
non publiée de l'AFP dans une procédure de justice les
opposant. Toujours d'après Manuel Aeschlimann, le directeur de
l'information lui a déclaré que la fameuse dépêche
ne serait pas mise sur le fil AFP parce qu'elle n'était "pas
équilibrée".
Pierre Taillefer
ne veut ni confirmer ni démentir cette version de l'élu
UMP. Mais il précise que l'article de Marc Bastian avait été
"bloqué par son chef de service", avant l'appel de
Manuel Aeschlimann, pour un "problème d'écriture"
car il était "un peu ésotérique" et "compliqué
à comprendre".
En l'état
de ses informations, "Carte de presse" maintient toutefois
sa conclusion, qui contredit les versions du député-maire
d'Asnières et du directeur de l'information de l'AFP : la dépêche,
rédigée on ne peut plus clairement, a bien été
victime d'une censure pour son contenu, à la suite d'une intervention
directe de celui qui aime à rappeler à ses interlocuteurs
qu'il est proche de Nicolas Sarkozy, et qu'il a d'excellents avocats
experts ès diffamations...