Violences du train Nice-Lyon : la grande défausse

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Le Figaro
Christophe Cornevin et Cyrille Louis
[05 janvier 2006]

SNCF, préfecture, conseil régional et forces de l'ordre se renvoient la responsabilité des agressions commises à bord du convoi entre Nice et Lyon le jour de l'An. «J'ai demandé une enquête très précise pour savoir ce qui s'est passé et qui a failli devant ses responsabilités», a déclaré mercredi Nicolas Sarkozy qui a répété sa volonté de «généraliser» la police des transports, créées en 2003 en Ile-de-France, et en septembre dernier à Lille, Paris et Marseille. Jeudi matin, le ministre de l’Intérieur doit rencontrer une des victimes, une étudiante, qui se dit également choquée par l'attitude de la SNCF qui l'a obligée à payer un supplément quand elle a voulu prendre un autre train pour rentrer chez elle.
UNE CASCADE d'appréciations erronées semble être à l'origine du terrible voyage effectué, le 1er janvier au petit matin, par quelque 600 passagers livrés à la vindicte d'une centaine de jeunes à bord du train express régional 17430. Hier en début de soirée, le ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy, a ainsi convoqué le président de la SNCF, Louis Gallois, pour déplorer «le manque de communication» pratiqué par le transporteur. Dans le même temps, la police nationale envisageait d'ouvrir une enquête administrative afin de cerner d'éventuelles défaillances survenues, ce dimanche, dans le maintien de la sécurité publique entre Nice et Marseille.

«Excités et visiblement très éméchés»


C'est en gare de Nice, la veille au soir, que s'est noué le sort du convoi lorsque plus d'une centaine de jeunes, selon les forces de l'ordre, sont arrivés de Marseille, «excités et visiblement très éméchés». Aussitôt, une centaine de gendarmes mobiles et de policiers du groupement d'intervention de la police nationale et de la compagnie départementale d'intervention sont intervenus pour procéder à la fouille et au contrôle de 70 personnes. «A cet instant, nous avons placé les 22 plus dangereux en garde à vue pour les mettre hors d'état de nuire jusqu'au lendemain et nous avons décidé de surveiller les autres pour qu'ils ne fassent pas de bêtise, détaille un policier. Cela fait, nous avons encore vérifié qu'ils étaient calmés avant de les laisser monter dans le train du retour, le lendemain à six heures.»


Lorsque le train démarre, ce dimanche matin, une trentaine de policiers et de gendarmes assistent à l'embarquement des voyageurs. Ensuite, seuls deux contrôleurs et quatre agents de la Sûreté générale des transports (Suge), dont un maître-chien, montent à bord. «Nous avons laissé faire car la SNCF nous avait expliqué qu'elle avait la situation sous contrôle, explique Françoise Souliman, directrice de cabinet du préfet des Alpes-Maritimes. En outre, il n'aurait servi à rien de mettre nos policiers à bord de ce train en partance pour le Var, dans la mesure où ils ne sont pas autorisés à interpeller en dehors du département.»


D'abord calme, l'atmosphère se tend brusquement vers 7 heures après que les hommes de la Suge, jugeant visiblement la situation maîtrisée, ont quitté le train en gare de Saint-Raphaël. C'est alors que plusieurs dizaines de jeunes prennent le contrôle de la rame avant de se livrer à de multiples dégradations, notamment dans une voiture de première classe, puis de voler des passagers et d'agresser sexuellement deux jeunes femmes. L'une d'elles a immédiatement déposé plainte.

«Le calme revenu, rien ne s'opposait au départ»


En gare des Arcs-sur-Argens, l'intervention de vingt-cinq gendarmes ramène un temps le calme, débouchant sur l'identification de trois victimes et l'interpellation de trois agresseurs présumés. C'est ensuite, peu avant 9 heures, que la préfecture donne au convoi l'autorisation de repartir avec, à son bord, la majorité des fauteurs de trouble. «Il paraissait délicat de faire sortir tous ces jeunes, qui ne s'étaient pour la plupart rendus coupables que de menues dégradations, alors que les autres passagers étaient pressés de repartir», raconte le procureur, Christian Girard. A la préfecture de Toulon, on explique : «Le calme revenu, rien ne s'opposait au départ.» Selon la SNCF, de nouvelles déprédations ont pourtant été commises à bord, entre Toulon et Marseille. Un kilomètre avant l'arrivée en gare Saint-Charles, le signal d'alarme est actionné à plusieurs reprises, provoquant l'arrêt du train et permettant aux assaillants, originaires des cités environnantes, de prendre la fuite. Seules trois personnes sont interpellées en possession de stupéfiants, d'un couteau et de deux tournevis.


«Faute majeure de l'Etat»


Pointés du doigt après leur silence initial, les services de l'Etat ont réagi hier en rejetant la faute notamment sur le conseil régional qui, à l'occasion du réveillon, finançait des billets de train à prix réduit. «C'est très bien de vouloir aider des jeunes en difficulté à se déplacer, mais il est scandaleux que ceux-ci ne soient pas davantage encadrés, déplorait-on hier à la préfecture des Alpes-Maritimes, avant d'ajouter : «A aucun moment nous n'avons été prévenus que cette opération risquait d'attirer un public sensible.» Réponse immédiate de la Région : «Cette action, que nous menons régulièrement depuis 2001, a fait l'objet d'une délibération qui a été transmise à la préfecture de région.» Et le président socialiste de la Région d'ajouter : «Il y a une faute majeure de l'Etat d'avoir laisser monter dans le train une centaine de jeunes éméchés.» Pour sa part, un responsable de la SNCF a fait valoir hier que : «Tous les services de police et de gendarmerie de la région Paca étaient au courant de cette opération.»


A Paris, où les entourages respectifs du ministre de l'Intérieur et du président de la SNCF ignoraient encore, mardi après-midi, la prise en otage du TER 17430, l'affaire a également suscité hier un certain malaise. Evoquée lors de ses voeux par le chef de l'Etat, elle a d'ailleurs conduit Nicolas Sarkozy à venir s'exprimer au journal de vingt heures de TF 1. Pour y souligner, notamment, qu'un service régional de sécurisation des transports en commun a été créé en septembre dernier pour la région Paca.