Le nombre d'usurpation d'identité s'envole en France selon deux rapports de l'administration
30 mars 2007


Vol d'identité : le cauchemar des victimes
MARIE-CHRISTINE TABET.
Publié le 30 mars 2007
Actualisé le 30 mars 2007 : 12h53

Le nombre d'usurpation d'identité s'envole en France selon deux rapports de l'administration que le Figaro s'est procurés. Un véritable cauchemar pour les victimes.

SORTIR sa carte d'identité ne suffit pas toujours à prouver qui l'on est. Surtout quand une dizaine d'au­tres personnes revendiquent le même état civil avec en poche de « vrais » faux papiers... L'astuce qui consiste à obtenir des documents authentiques avec sa photo mais le nom d'une autre personne commence à faire des ravages. Un rapport d'enquête de l'Inspection générale des finances et de l'Inspection générale des affaires sociales que Le Figaro s'est procuré sur la mesure de « la fraude à l'identité » prouve que le phénomène est inquiétant.

Neuf cent trente-trois individus qui ont tenté d'usurper une identité ou de falsifier la leur sont enregistrés dans le fichier des personnes recherchées. Au total, ce sont plus de 6 000 dossiers de suspicions de fraude à l'état civil qui sont en souffrance au ministère de l'Intérieur. « Pour chaque personne, c'est un véritable cauchemar car elle doit prouver en permanence qu'on lui a volé son nom », explique Christophe Naudin, chercheur et criminologue à l'université Paris-II. La consultation du fichier des empreintes digitales des personnes mises en cause dans des procédures judiciaires criminelles ou délictuelles montre que 38 000 personnes se sont déclarées sous plusieurs identités. La mission a envoyé un questionnaire à un échantillon représentatif de préfectures. Il ressort que si les falsifications et les contrefaçons repérées par les agents entre 2003 et 2005 sont en baisse - les documents français sont de plus en plus difficiles à imiter - les obtentions frauduleuses, sous une identité créée ou, le plus souvent, empruntée, explosent : plus 3,5 % pour les passeports, plus 10 % pour les cartes d'identité, plus de 20 % pour les permis de conduire et près de 175 % pour les titres de séjour.


Les Français négligents ?

Les faux documents servent plusieurs catégories de personnes : les délinquants et les criminels, les fraudeurs en tout genre qui cherchent à obtenir indûment des prestations sociales et enfin les étrangers, notamment ceux qui n'ont pas de titre de séjours. Ces derniers progressent leur proportion écrasante dans les statistiques. L'« état 4 001 », fichier de la police et la gendarmerie, fait apparaître que 79 % des fraudes détectées étaient le fait d'étrangers en 2006. Un groupe interministériel a été créé en décembre dernier pour lutter contre cette dérive, prévenir et former les agents de l'administration à détecter les faux.

Subtiliser l'identité d'un tiers peut se révéler d'une facilité enfantine. Il suffit de connaître le nom, la date et la localité de naissance. Des informations qui peuvent être récupérées notamment dans les boîtes aux lettres. « Ensuite, le fraudeur va faire une demande par courrier à la mairie de naissance de la victime pour obtenir un acte de naissance authentique, indique Vincent Lafon, responsable du Bureau de la fraude documentaire de la Police aux frontières, la plupart des mairies ne demandent pas plus de détails ». Une fois ce document en main, le contrevenant déclare la perte où le vol de l'ensemble de ses papiers dans un commissariat de police. Muni de l'acte de naissance, la déclaration de vol et quelques factures d'EDF falsifiées, il lui sera facile d'obtenir passeport, permis et carte d'identité... avec la photo de son choix. Cette opération peut alors être reproduite dans plusieurs préfectures. « Certaines contrôlent, raconte-t-on au ministère de l'Intérieur, Elles doivent normalement le faire. Mais parfois, les files d'attente sont trop longues, Alors... ».

L'envolée du nombre de déclarations de vols et de pertes de passeports et de cartes d'identité au cours des dix dernières années est incompréhensible sauf à penser que les Français sont devenus très... négligents. En 2005, 45 177 passeports étaient déclarés volés ou perdus contre 660 en 1999. Les Français seraient devenus vraiment très négligents ! Le livret de famille, qui est « un document peu sécurisé et pas tenu à jour », selon le rapport, donc facilement falsifiable permet aussi d'obtenir un titre d'identité.

« Les gens se réveillent un matin et, à la faveur d'une contravention qui arrive par la poste, raconte Christophe Naudin, ils apprennent la supercherie ». C'est l'histoire du Didier Morville de Nancy qui recevait les contraventions de l'indélicat rappeur Joey Starr, son homonyme à l'état civil. Lorsqu'il était en poste à la PAF de Roissy, le commissaire Edouard Fijalkowski du bureau de la fraude documentaire, se souvient de cet homme d'affaires qui chaque fois qu'il voulait quitter le territoire se retrouvait bloqué à la douane car son nom, « emprunté » par un voyou avait été inscrit au fichier des personnes recherchées...

Selon le rapport, les différentes administrations, victimes potentielles de ces fraudes, sont très mal préparées à déceler et lutter contre ces usurpations d'identité. La SNCF commence à prendre la mesure des dégâts : sur le 1,3 million de contraventions dressées en 2005, 32,5 % n'ont pas été recouvrées faute d'avoir pu retrouver le resquilleur. Toutes n'avaient pas une adresse mal rédigée ! À la RATP, un million de procès-verbaux ont été délivrés en 2005, 3 565 n'ont pu être exploités, le contrevenant s'étant déclaré sous une fausse identité. Le préjudice s'est élevé à 267 000 euros. Une étude menée aux États-Unis par téléphone en 2003 auprès de 10 millions de personnes qui auraient été victimes d'usurpation en évalue le coût à quelque 52,6 milliards de dollars.
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Le prix des faux papiers
Publié le 30 mars 2007
Actualisé le 30 mars 2007 : 07h44

Voici les prix moyens des faux papiers achetés au marché noir, en fonction de la qualité du document, d'après une évaluation de la Police judiciaire.

Passeport : de 500 à 1 500 euros pour un faux. Jusqu'à 2 000 euros pour un passeport volé vierge.

Carte d'identité : de 150 à 800 euros.

Permis de conduire : de 300 à 500 euros.

Autres documents (carte Vitale, bulletin de paie...) : de 20 à 100 euros.


"Un homme a des papiers à mon nom valables jusqu'en 2014"
M-C. T..
Publié le 30 mars 2007
Actualisé le 30 mars 2007 : 07h28

Le cauchemar de Farid Chalabi a commencé en juillet lorsqu'il a dû prouver qu'il n'était pas à l'origine des faux.

« J'AI VÉCU un enfer ! Pendant des mois je me suis promené avec le numéro de portable de l'un des policiers de Saint-Étienne. Il n'y avait que lui qui pouvait prouver mon identité. » Le calvaire de Farid Chalabi a commencé le 17 juillet dernier, lorsqu'il a voulu faire refaire sa carte d'identité, qui arrivait à éché­ance. Dix jours après le dépôt de son dossier en préfecture, ce technicien de maintenance de 33 ans a été convoqué par la police. « Ils voulaient que je rende les deux cartes d'identité et les quatre passeports qui avaient été délivrés à mon nom entre 2001 et 2004 à la suite de déclarations de perte », se souvient-il.

À l'époque, sa vie a tourné au cauchemar. Il n'osait quitter Saint-Étienne, de peur d'être contrôlé par la police. Les problèmes pour trouver un logement, voyager, travailler se sont accumulés. Malgré des appels désespérés au médiateur de la République et à la préfecture, il n'a trouvé aucune solution. « Ma mère était malade en Algérie, raconte-t-il, je n'ai pas eu l'autorisation d'aller la voir car je n'avais plus de papiers. » C'est en témoignant dans une émission de radio qu'il a commencé à « revoir le jour ». Christophe Naudin, chercheur et crimi-nologue, l'entend et l'aide à médiatiser son affaire. Peu friand de ce type de publicité, le ministère de l'Intérieur intervient pour qu'il obtienne une nouvelle carte d'identité. La préfecture doit lui envoyer le document dans les tout prochains jours. « À la préfecture d'Ille-et-Vilaine où plusieurs pièces avaient été demandées à mon nom, raconte Farid, on m'a expliqué que c'est grâce à un extrait d'acte de naissance obtenu auprès de ma mairie de naissance à Charleville-Mézières que les duplicatas avaient été donnés. »

« Prouver ma bonne foi »

Sa propre enquête et des indiscrétions de policiers lui ont appris que des cas comme les siens étaient fréquents et qu'il avait eu de la chance. « J'ai rapidement pu prouver que je n'étais pas à l'origine des faux, poursuit-il, car j'étais en voyage à l'étranger en 2001 lorsque plusieurs usurpations ont eu lieu. Sinon j'aurais eu toutes les peines du monde à prouver ma bonne foi. » Farid Chalabi reste inquiet car près d'une dizaine de personnes portent son nom. La dernière carte d'identité a été émise en 2004. « Cela veut dire que jusqu'en 2014 un homme va se promener avec une carte à mon non. Sous mon identité il peut détourner de l'argent ou pire commettre un crime », se lamente Farid.

Pour le protéger, son avocat, Gilbert Collard, a, devant le tribunal administratif, déposé une plainte pour mettre en cause la responsabilité de l'Etat .


Moins de 100 euros pour une carte Vitale
M.-C. T..
Publié le 30 mars 2007
Actualisé le 30 mars 2007 : 07h29

Au début du mois de mars, au coeur XVIIIe arrondissement parisien, rue Simard, où la communauté africaine à ses habitudes, les policiers ont fait une belle prise. Dans une boutique de consommables informatiques qui dissimulait une officine de faux papiers, ils ont découvert un fichier ayant donné lieu à la production de plus d'un millier de documents contrefaits. Une véritable caverne d'Ali Baba de l'identité : extraits d'actes de naissance, livrets de famille, bulletins de salaire, quittances de loyer, attestations de carte Vitale, titres de séjours et permis de conduire « bidon », tarifés de 20 à 100 euros pièce selon l'importance du document. Il y avait même « des certificats médicaux pour faux malades du sida », s'indigne le commissaire Philippe Veroni, chef de l'Office central de lutte contre le crime organisé à la police judiciaire.