Déportation: un magistrat demande
la non-condamnation de la SNCF
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mardi 30 janvier 2007, 16h10 BORDEAUX
(Reuters) - Le commissaire du gouvernement a demandé à
la Cour administrative d'appel de Bordeaux d'annuler la condamnation
de la SNCF pour son rôle dans la déportation de Juifs
pendant la Seconde Guerre mondiale. La
condamnation a été prononcée le 6 juin dernier
par le tribunal administratif de Toulouse (Haute-Garonne). Ce dossier
porte spécifiquement sur quatre membres de la famille du député
européen des Verts Alain Lipietz. La
cour a mis sa décision en délibéré à
deux semaines. Pour
le commissaire du gouvernement, Didier Péano, la SNCF, qui
avait fait appel, "a apporté son concours à des
actes qui relèvent de la police administrative". Ceci
implique, a-t-il fait valoir, que c'est à l'Etat, condamné
en première instance pour les mêmes faits et qui n'a
pas fait appel, que revient la réparation du préjudice.
Il
n'a pas relevé une "faute distinctive de la SNCF"
qui aurait selon lui pu justifier sa condamnation. Sur
la prescription des faits avancés par les avocats de la SNCF,
il a laissé à la cour le soin de déterminer la
date à laquelle elle démarre en fonction de la connaissance
des faits et du préjudice. Il a écarté l'imprescriptibilité
qui s'attache aux crimes contre l'Humanité qui relève
de "la juridiction pénale". Me
Rémy Rouquette a, au nom de la famille Lipietz, dénoncé
la rôle des dirigeants de la SNCF de l'époque, estimant
qu'en facturant les transports à l'Etat après la Libération
puis en le menaçant d'appliquer des intérêts de
retard, elle avait prouvé sa "collaboration active".
"La
facture balaie l'argument de la contrainte", a-t-il dit en réponse
aux avocats de la SNCF qui avaient indiqué qu'elle avait agi
sur réquisition. Il a souligné le fait que la société
de transports avait "par cupidité" fourni des wagons
à bestiaux et n'avait pas daigné offrir de l'eau aux
déportés. "La
SNCF n'avait aucune marge de manoeuvre", a expliqué son
avocat, Me Yves Baudelot, estimant qu'en tout état de cause,
c'était à l'Etat et à lui seul de payer. Depuis
le jugement de Toulouse, a-t-il dit, la SNCF a été saisie
de près de 1.800 demandes semblables d'indemnisation de familles
de victimes. Après
l'audience, Alain Lipietz a exprimé devant la presse sa "profonde
déception" mais a souligné que le commissaire du
gouvernement n'avait pas remis en cause la condamnation de l'Etat.
L'Etat
français et la SNCF avaient été condamnés
en juin, pour la première fois, en raison de leur rôle
dans la déportation de Juifs sous l'occupation allemande. L'Etat
avait été condamné à verser 25.000 euros
à l'oncle d'Alain Lipietz, 15.000 euros au député
européen et à sa soeur. Le tribunal avait en outre condamné
la SNCF à verser 12.500 euros à l'oncle d'Alain Lipietz,
7.500 euros à l'eurodéputé et à sa soeur.
L'Etat et la SNCF avaient à verser 1.000 euros à chacun
des plaignants au titre des frais judiciaires. ................................................................................................................................................................................................................................................................................................................
Déportation
: la SNCF dégagée de toute
responsabilité
?
lefigaro.fr (Avec AFP).
Publié le 30 janvier 2007
Actualisé le 30 janvier 2007 : 16h21
Un magistrat bordelais estime que la SNCF ne pouvait pas être
considérée comme responsable de la déportation
de membres de la famille Lipietz.
Le député Vert Alain Lipietz avait crié victoire
en juin dernier, lorsque le tribunal administratif de Toulouse avait
condamné l’Etat et la SNCF pour leur rôle dans
la déportation de juifs. Mais le commissaire du gouvernement
de la cour administrative d'appel de Bordeaux considère mardi
qu'il n'y a « pas de faute distincte » de la part de la
SNCF quand elle a effectué le transport de membre de la famille
d’Alain Lipietz, déportés vers Drancy en 1944.
Conséquence : la SNCF ne peut pas être considérée
comme responsable.
Pour le magistrat bordelais, seul l'Etat est « fautif »
dans ces transports, considérés comme des actes de «
police administrative ». La cour administrative d'appel de Bordeaux
a mis sa décision en délibéré sous quinzaine.
La veuve de Georges Lipietz « déçue »
L’avocat de la SNCF, Me Yves Baudelot, a indiqué que
la décision de la cour avait « une importance considérable
», la SNCF ayant été « saisie de 1.800 demandes
semblables » d'indemnisations à la suite du jugement
de Toulouse. La veuve de Georges Lipietz, le père du député
Vert, s’est quant à elle déclarée «
déçue en tant que victime et en tant qu'ancienne avocate
».
L'Etat et la SNCF ont été condamnés le 6 juin
2006 à Toulouse, pour la première fois, dans une procédure
engagée par des membres de la famille d’Alain Lipietz,
transférés en mai 1944 vers le camp de Drancy. Le tribunal
avait condamné l'Etat et la SNCF à verser une somme
totale de 62.000 euros aux requérants.
La SNCF avait fait appel de ce jugement. La
SNCF n’est pas responsable de la déportation des Juifs
Par Louis Gallois, président-directeur général
de la SNCF.
Publié le 30 janvier 2007
Actualisé le 30 janvier 2007 : 15h20
[Cet article est paru dans Le Figaro le 12/06/2006] Au nom de son
entreprise, le président de la SNCF a décidé
de faire appel du jugement prononcé mardi 6 juin par le tribunal
administratif de Toulouse et condamnant la société nationale
des chemins de fer à verser 62 000 euros à quatre membres
de la famille du député vert Alain Lipietz. Après
une dénonciation en 1944, ceux-ci avaient été
transférés par train à Paris, dans un camp de
transit où ils avaient passé trois mois avant d’être
libérés. Il s’exprime pour la première
fois depuis le jugement, dans « Le Figaro ».
Au nom de son entreprise, le président de la SNCF a décidé
de faire appel du jugement prononcé mardi 6 juin par le tribunal
administratif de Toulouse et condamnant la société nationale
des chemins de fer à verser 62 000 euros à quatre membres
de la famille du député vert Alain Lipietz. Après
une dénonciation en 1944, ceux-ci avaient été
transférés par train à Paris, dans un camp de
transit où ils avaient passé trois mois avant d’être
libérés. Il s’exprime pour la première
fois depuis le jugement, dans « Le Figaro ».
Le tribunal administratif de Toulouse vient de condamner la SNCF pour
avoir, en 1944, transporté des Juifs arrêtés par
les Allemands. La SNCF fait appel de ce jugement, certes sur des points
de droit mais surtout parce que l’évaluation des faits
qui sous-tend ce jugement est profondément contestable et contraire
aux travaux historiques menés depuis 1992. C’est en effet
à cette date que la SNCF a, à l’initiative de
mon prédécesseur, Jacques Fournier, totalement ouvert
ses archives. Une réalité s’impose d’évidence
: c’est par le train que les déportés ont été
acheminés et que 76 000 d’entre eux, parce qu’ils
étaient juifs, ont été transportés jusque
dans les camps de la mort. Le rail conduisait à Auschwitz.
C’est la SNCF qui assurait le trafic jusqu’à la
frontière allemande. Elle a donc un devoir impérieux
de transparence et de mémoire. Elle l’accomplit : ouverture
des archives, travaux de l’Institut d’histoire du temps
présent du CNRS, colloque « une entreprise publique dans
la guerre » en 2000, expositions dans les gares et au siège
de la SNCF sur les déportations d’enfants à l’initiative
de Serge Klarsfeld, préservation des gares de la déportation...
Ce travail, toujours douloureux, est nécessaire ; il sera poursuivi.
Mais la question est là : quelle est la part de responsabilité
de la SNCF ? A-t-elle été un acteur autonome et volontaire
? A-t-elle été au-delà de ce que la menace et
la force imposaient ? La réponse des historiens est clairement
« non ». La SNCF était sous la contrainte, en zone
occupée, des forces d’occupation et, en zone libre, de
la collaboration d’Etat de Vichy. La SNCF était trop
importante pour l’approvisionnement du pays, les transports
de troupes et d’armements allemands, les déplacements
de prisonniers, de jeunes du STO ou de déportés pour
qu’on lui laisse une marge de manoeuvre.
Elle était surtout trop essentielle à partir de 1942
pour la mise en oeuvre de la « solution finale ». La SNCF
a été réquisitionnée et mise à
la disposition des Allemands par la Convention d’armistice.
En zone libre, elle agissait sur les ordres des autorités de
Vichy et sous la surveillance étroite de la police. En zone
occupée et donc, à partir de 1943, partout, l’armée
et la police allemandes ou la Reich Bahn - ce qui revenait au même
- étaient physiquement présentes dans toutes les installations
importantes de la SNCF et dans tous les trains de la déportation.
Bien sûr, le travail technique était assuré par
la SNCF, mais le choix des wagons, la composition des trains, leurs
itinéraires et leurs horaires étaient fixés par
les autorités allemandes ou celles de Vichy. Une partie de
ces trafics de toutes natures commandés par les unes et par
les autres ont probablement été indemnisés, les
Allemands laissant d’ailleurs l’essentiel de la facture
à Vichy. C’était la contrepartie de la réquisition.
Bien sûr, il y a eu, comme partout, des collaborateurs au sein
de la SNCF. Certains de ses personnels ont été justement
sanctionnés à la Libération. Mais passer ainsi
de ces fautes individuelles à la faute collective, c’est
franchir un pas qui ressemble à un détournement de l’histoire.
Faut-il rappeler que plus de 1 500 résistants cheminots ont
été fusillés ou déportés sans retour
et que les représailles sur leurs familles et leurs collègues
ont été particulièrement meurtrières ?
Que les actions de résistance cheminote ont permis d’accélérer
de manière décisive l’avancée des troupes
alliées et la libération du pays en désorganisant
les approvisionnements allemands ? Que la SNCF, enfin, est la seule
entreprise française à avoir reçu la Légion
d’honneur à titre militaire ?
Les cheminots ne se méprennent pas sur leur passé ;
ils savent que leur entreprise a traversé des heures de gloire
et des heures sombres ; ils savent que comme instrument de l’Etat
de Vichy, la SNCF a été un rouage de la solution finale
; mais ils ne veulent pas que la SNCF endosse des responsabilités
qui ne sont pas les siennes ni qu’on oublie la solidarité
que par milliers les hommes et les femmes du chemin de fer ont manifestée
à l’égard des déportés qu’ils
transportaient ou le sacrifice héroïque des meilleurs
d’entre eux. Non,
M. Gallois, la SNCF n’était pas unanimement résistante
!
Par Alain Lipietz , député européen (Vert). Tribune
écrite en collaboration avec sa soeur Hélène
Lipietz, conseillère régionale (Vert).
Publié le 30 janvier 2007
Actualisé le 30 janvier 2007 : 15h43
[Article paru dans Le Figaro le 28/06/2006] Louis Gallois déçoit.
Face au procès intenté par notre oncle et notre père
contre l’État et la SNCF pour leur rôle odieux
dans leur internement à Drancy, il eût été
digne de soutenir leur plainte.
Louis Gallois déçoit. Face au procès intenté
par notre oncle et notre père contre l’État et
la SNCF pour leur rôle odieux dans leur internement à
Drancy, il eût été digne de soutenir leur plainte.
Or dans sa tribune du 12 juin dans le Figaro, il affirme que la direction
de la SNCF n’avait aucun choix, signale en trois lignes l’existence
de « collaborateurs », puis exalte l’héroïque
résistance des cheminots ! Mais si la SNCF ne pouvait qu’obéir,
pourquoi parler de « collaboration » ? Les cheminots furent
décorés à la Libération tandis que les
dirigeants de la SNCF furent épurés pour collaboration.
Quand le tribunal de Toulouse condamne la SNCF après une longue
nuit judiciaire (le juge administratif refusa de 1946 à 2001
d’accorder réparation pour les fautes de l’État
vichyste !), il ne condamne évidemment pas les cheminots qui
résistaient aux ordres de leurs chefs, mais ces chefs !
En amalgamant les cheminots et la SNCF, son président plaide-t-il
pour la réhabilitation des 490 dirigeants épurés
à la Libération ? Il appelle les historiens à
son secours. Or leur diagnostic est connu. Le jugement de Toulouse
s’appuie sur le rapport de Christian Bachelier, synthèse
des archives ouvertes en 1992. Il faut le lire sur le site de l’Association
pour l’histoire des chemins de fer en France (1).
Éclairant remarquablement l’imbrication entre collaboration
et résistance, autonomie relative et culpabilité propre,
il montre que le mythe de la personne morale SNCF unanimement résistante
fut forgé pour occulter « les liaisons innommables »
de la SNCF et des nazis. « Construction juridique érigée
alors en récit historique », le statut imaginaire de
« réquisition de transport de l’occupant à
l’occupé » masque la volonté de la SNCF
« de placer sur le plan du droit contractuel ses rapports avec
les autorités d’occupation, et que des conventions ont
été passées avec lesdites autorités (suivie
de règlements financiers allemands) ». Et si la SNCF
en 1942 fut mal payée par les Allemands pour ce « contrat
», elle sera plus satisfaite des revenus de 1943. Et enverra
encore à la France libérée la facture de ces
crimes.
La résistance cheminote ne crut pas au mythe de la réquisition
et du pistolet sur la tempe. Certes, à la Libération,
le Parti communiste exalta l’unité nationale, il fut
absent des procès et comités d’épuration...
La Bataille du rail, de René Clément, illustre cet unanimisme
partagé avec les gaullistes et les nouveaux dirigeants de la
SNCF. Puis, avec la Guerre froide, les communistes érigèrent
l’affrontement entre collabos et résistants en forme
de lutte des classes.
Le rapport Bachelier dévoile une réalité plus
nuancée. François Dumont dans La Vie du rail du 21 juin
2006 rappelle que « la SNCF ne vivait pas hors de ce temps,
elle ne pouvait pas être une exception ». La direction
oscillait entre ultracollaborationnisme, maréchalisme et résistance
de la dernière heure. Seul le double corporatisme des cheminots
et des polytechniciens fut singulier : les dirigeants protégeaient
de la Gestapo les gaullistes présumés, mais pour les
ramener à la collaboration. Et la SNCF n’admettait qu’un
seul interlocuteur : le ministère des Transports de Vichy.
Cette autonomie dans l’exécution, concédée
par le Reich à Vichy et par Vichy à la SNCF, satisfaisait
pleinement les Allemands.
En niant ces responsabilités propres de la direction, M. Gallois
minore la résistance cheminote à l’égard
des convois de déportés politiques ou du STO, dont le
rapport Bachelier fournit pourtant maints exemples ! Et les convois
de déportés raciaux ? Hélas, M. Bachelier doit
conclure : « Des cheminots ont manifesté des actes de
solidarité, individuels et isolés, avec les persécutés.
Aucune protestation contre ces transports émanant de la SNCF
ne figure ni dans les archives ni dans les témoignages. »
Le colloque de l’AHICF, ouvert en 2000 par M. Gallois, confirme
: « Certes la SNCF n’a pas démarché les
Allemands pour qu’ils déportent les Juifs et pour qu’elle
en tire un profit, mais elle aurait dû et pu manifester son
opposition au rôle qu’on lui faisait jouer en refusant
au minimum d’être payée pour des transports par
lesquels elle apportait un réel soutien matériel au
crime nazi... Or nous constatons l’absolue indifférence
d’une administration, d’une gestion qui ne tolère
pas le manque à gagner et qui ne se rend pas compte qu’en
réclamant le paiement de ses factures elle se rend moralement
encore davantage complice des crimes qui viennent d’être
commis. » (Serge Klarsfeld).
Monsieur Gallois, rendez plutôt hommage au seul cheminot qui
refusa de conduire un train de déportés raciaux : Léon
Bronchart, licencié par la SNCF, réintégré
en 1944, commandeur de la Légion d’honneur et Juste parmi
les nations. Car, comme vous le disiez encore en 2000 : « La
connaissance n’apaisera jamais la souffrance, mais elle peut
contribuer à éviter le retour de l’irréparable.
»