PRÉSIDENTIELLE A deux ans de l'échéance
La droite voit Le Pen sans ses parrainages en 2007

Olivier Pognon
[16 septembre 2005]

L'enjeu donne lieu à l'une des premières batailles de l'élection présidentielle de 2007 : les parrainages de Jean-Marie Le Pen. Les grandes manoeuvres ont déjà été engagées sur le terrain psychologique. Le député UMP des Hauts-de-Seine Manuel Aeschlimann, proche de Nicolas Sarkozy, a posé un jalon en laissant entendre que certains des maires qui avaient accordé leur signature à Jean-Marie Le Pen en 2002 se déroberont dans dix-huit mois. Voilà donc évoquée avec faveur, par ce proche de Nicolas Sarkozy, l'hypothèse selon laquelle Jean-Marie Le Pen ne pourrait pas se présenter. Pour Carl Lang, secrétaire général du FN, «cela procède de la démarche habituellement totalitaire des dirigeants de l'UMP ex-RPR» qui «lors de toutes les élections présidentielles ont toujours fait pression sur les maires pour les empêcher de donner leur signature au candidat national».


Déjà, en 2002, la question avait défrayé la chronique pendant deux mois. Le président du Front national avait du mal à rassembler les cinq cents signatures. Il ne s'était pas fait faute de rameuter l'opinion à propos de l'injustice dont il s'estimait menacé. L'éventualité qu'il puisse être exclu de la compétition avait été jugée dangereuse pour la démocratie par des hommes politiques (François Bayrou, Alain Madelin, Jean-Louis Borloo) et des politologues. Il avait obtenu ses parrainages in extremis et au compte-gouttes : 532 en tout.


En posant dès maintenant la question des parrainages du président du FN pour la prochaine présidentielle, Manuel Aeschlimann a sans doute pour objectif de préparer l'opinion à l'éventualité de son absence. Il s'attache en tout cas à la justifier : Jean-Marie Le Pen est «plutôt un has been», a-t-il dit sur France Info, c'est pourquoi «certains maires» ont l'intention de donner leur signature plutôt «à Philippe de Villiers ou Nicolas Sarkozy» «parce qu'ils incarnent, eux aussi, l'ordre».


Manuel Aeschlimann voit déjà les bénéfices que son candidat pourrait tirer de la situation. 75% des électeurs du Front national apprécient le discours de Nicolas Sarkozy, affirme-t-il, sondages à l'appui, et «sont prêts à laisser Le Pen». Il n'empêche que l'affaire ainsi lancée est risquée. Comment réagiront les électeurs du Front national s'ils sont privés de candidat et s'ils ont des raisons d'en rendre responsable l'UMP (soupçonnée d'avoir fait pression sur les maires) ? Il n'est pas sûr qu'ils ne se vengent pas. C'est en tout cas cette menace qu'avait agitée Jean-Marie Le Pen en 2002, et il se peut qu'elle ait été déterminante pour qu'il obtienne finalement ses signatures.


Philippe de Villiers, qui en est sans doute conscient, prend le contre-pied de Manuel Aeschlimann dans un entretien publié aujourd'hui par Valeurs actuelles : il serait «tout à fait anormal que Jean-Marie Le Pen, qui avait atteint le second tour en 2002, ne puisse concourir en 2007», dit-il... «Le priver de ses signatures reviendrait à remplacer la vraie démocratie par la démocratie du tapis vert.» Guillaume Peltier (ancien responsable du FNJ), secrétaire général du MPF, a pourtant évoqué lui aussi l'hypothèse (nos éditions du 19 septembre) : «Jean-Marie Le Pen a 77 ans et n'est pas certain d'obtenir les cinq cents signatures», disait-il, d'où «un vaste espace» pour «la droite nationale incarnée par Philippe de Villiers».


Le président du MPF ne se cache certes pas de vouloir détourner à son profit les électeurs du FN : «Tous ceux qui voudront me soutenir et qui partageront la même vision de la France, de l'Europe des nations, et la même conception de la politique seront accueillis sans exclusive. Les électeurs du non, de droite comme de gauche, ne doivent en aucun cas être diabolisés», déclarait-il le 6 septembre dans Le Figaro.


Manuel Aeschlimann, proche de Sarkozy, et Guillaume Peltier, bras droit de Villiers, estiment que l'absence du président du FN profitera à leur candidat. Et ils escomptent que cette absence sera favorisée par le calendrier : en 2002, les maires avaient été élus ou réélus l'année précédente, tandis qu'en 2007, ils devront l'être l'année suivante. L'argument n'est pas sans valeur. Les maires qui envisagent de se représenter y réfléchiront peut-être à deux fois avant de signer pour Jean-Marie Le Pen, surtout si, comme cela est parfois évoqué, l'UMP refuse d'investir ou de soutenir aux municipales ceux qui l'auront parrainé. Le président du FN, qui en est conscient, a, dès le 27 août dernier, lors de son université d'été de Bordeaux, lancé «un appel à tous les Français et singulièrement aux maires», «pour que ceux-ci prennent courageusement leurs responsabilités» en acceptant de parrainer sa candidature. L'année 2007 reproduira-t-elle le suspens des signatures de 2002 ?

Le Figaro
16 septembre 2005