Lu sur
www.agoravox.fr - vendredi 2 mars 2007
Faut-il brûler le "sarkommunautariste" Manuel Aeschlimann
?
Cette campagne présidentielle fait une part importante, peut-être
même inédite, aux entourages des candidats. Les cerveaux
tournent à plein régime depuis plusieurs mois. La principale
difficulté, pour le petit cercle de ceux qui peuvent prétendre
au second tour, réside dans la traduction pratique de théories
qui, par leur originalité, risquent d’effrayer l’électorat.
Royal en a fait l’expérience avec les «jurys citoyens»,
Bayrou avec sa «social-économie» et Sarkozy avec
la «discrimination positive». On ne les y reprendra pas.
Car les idées, c’est bien. Mais les voix, c’est
mieux...
Mardi
27 février, Le Figaro ouvre une grande série de reportages
sur les entourages des candidats à l’élection
présidentielle, en commençant par le portrait de la
surprenante Sophie Bouchet-Petersen, éminence grise de Ségolène
Royal. Le moindre mouvement au sein des « équipages »,
comme l’a récemment montré l’affaire Besson,
excite l’intérêt des observateurs, prompts à
y déceler la composition du futur gouvernement ou un infléchissement
dans la stratégie électorale du candidat - car les positionnements
importent plus que les positions.
Le marketing
politique de « niche », comme on dit chez Procter et Gamble,
est plus que jamais à l’ordre du jour. Les principaux
candidats doivent compter avec des masses électorales qui reflètent
la fragmentation de la société française : chacun
cherche chez l’un ou l’autre la satisfaction de ses intérêts
propres. Que ce soit à droite ou à gauche, il faut composer
avec les ruraux, les bobos, les cosmo, les néo, les crypto,
les cathos, les libéraux, les métallos, etc...L’équilibre
est subtil à atteindre. Une véritable alchimie.
Ainsi,
dans le camp sarkozyiste, certains ont assimilé l’éloignement
de Nadine Morano, députée et déléguée
nationale de l’UMP, à un rejet de la ligne libérale-libertaire
(« non aux impôts, oui aux homos »). Invité
également, semble-t-il, à plus de discrétion,
Manuel Aeschlimann, député-maire d’Asnières,
conseiller de Nicolas Sarkozy pour l’opinion publique, ferait
quant à lui les frais d’une approche communautaire de
la politique (« communautariste », diront ses détracteurs)
qui rebute encore une majorité de Français - c’est-à-dire
une majorité d’électeurs.
Faut-il
pourtant mettre au placard des idées novatrices, et peut-être
adaptées aux problèmes actuels, sous prétexte
que les Français ne sont pas prêts à les entendre
? Gageons qu’une fois la campagne terminée - et avec
elles les beaux discours artificiels, superficiels et simplistes -
les nouveaux dirigeants recommenceront à solliciter la créativité
de ceux qui n’hésitent pas à recommander des réformes
structurelles, des réformes de régime, pour sortir le
pays de l’ornière où il se trouve.
Asnières, laboratoire de la « France d’après
» ?
Manuel
Aeschlimann est, à cet égard, un profil significatif.
Contesté dans son fief d’Asnières pour des raisons
essentiellement politiciennes (il s’y est pourtant fait élire
dès le premier tour avec l’un des meilleurs scores de
France), il n’en est pas moins le maître d’œuvre
d’initiatives qui pourraient faire école. Mettons de
côté les querelles de clocher, les maladresses, les inévitables
erreurs des uns et des autres, et intéressons-nous à
la ligne générale suivie par Manuel Aeschlimann dans
sa commune - laquelle constituerait un laboratoire de la « France
d’après » au pays de Nicolas Sarkozy, les Hauts-de-Seine.
Manuel
Aeschlimann commence par poser un diagnostic que le politiquement
correct républicaniste assimile à un blasphème
: « le sacro-saint principe de l’intégration républicaine
a échoué » (Le Monde, 8 mars 2006). Cachez ce
sein que nous ne saurions voir... Il explique ensuite qu’à
Asnières, il a « laissé l’idéologie
de côté pour répondre aux attentes de [ses] administrés
» (intervention à l’Assemblée nationale,
15 janvier 2003). Coiffant la casquette du stratège électoral,
il déplore que la droite soit encore « incapable de faire
émerger des personnalités charismatiques parmi les jeunes
issus de l’immigration » alors que, par ailleurs, «
il existe de plus en plus de jeunes issus de l’immigration qui
affichent clairement leur engagement à droite » (Le Nouvel
Observateur, 21 juin 2004).
L’initiative
la plus emblématique de cette Aeschlimann touch est certainement
la création d’un « Conseil des Communautés
». Le nom est à lui seul une provocation pour les républicanistes.
Créé en mars 2003, ce Conseil compte 300 membres représentant
les 50 nationalités étrangères présentes
sur la commune d’Asnières, soit 16% de la population.
D’après le conseiller de Manuel Aeschlimann chargé
des relations avec les communautés religieuses et étrangères,
Luc Ristori, il se veut « un forum de dialogue et d’écoute
afin d’améliorer le quotidien des communautés
et un outil de valorisation des cultures identitaires ». Ce
Conseil des Communautés a ainsi pris part à différentes
manifestations culturelles proposées par les Chinois, les Indiens,
les Algériens, les Créoles...Il a aussi apporté
sa contribution aux débats de la Commission Stasi chargée
de réfléchir à la réforme de la laïcité,
et initié à travers l’un de ses membres musulmans
la construction de la plus grande mosquée des Hauts-de-Seine.
La municipalité d’Asnières refuse qu’on
parle de ce Conseil comme d’un gadget. Au contraire, il symbolise
une action politique de proximité reposant sur trois piliers
: la prise en compte de la nouvelle réalité sociale,
le respect des identités et la recherche du bien commun.
Manuel
Aeschlimann s’en explique : « Petit à petit, le
vote idéologique est remplacé par le vote sur enjeux
(...) Je sais qu’en France on prend cela pour du cynisme et
du marketing politique. Moi je dis que c’est du pragmatisme.
Il faut traiter les problèmes des Français au plus près
de leurs préoccupations » (Le Figaro, 7 juillet 2005)
Les résultats sont-ils au rendez-vous ? « Lorsque la
France a connu une flambée de violence [les émeutes
des banlieues de novembre 2005, parties de Clichy, commune voisine
d’Asnières, ndla], j’ai évidemment tenu
à accompagner nos forces de police dans leurs missions nocturnes
à Asnières. Devant leur remarquable travail, et pour
leur apporter un soutien logistique, j’ai fait mettre en place
le Comité Asniérois de Veille Citoyenne. Les médias
ont largement parlé de cette initiative. Les résultats
positifs sont indiscutables. » (Asnières Info n°265,
décembre 2005) De fait, aucun incident majeur n’a été
enregistré à Asnières pendant les émeutes.
Manuel
Aeschlimann n’est certainement pas un saint. Aux yeux de ses
détracteurs, son péché principal est d’avoir
de l’action politique une conception réaliste : selon
lui, les autorités civiles ont pour vocation principale de
donner aux citoyens les moyens de vivre dans la liberté et
la sécurité, et non de les mener vers la cité
idéale où tous les hommes se tiennent par la main. La
« démocratie participative de droite », en somme,
à mille lieues du maternalisme de Ségolène Royal.
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: http://www.agoravox.fr/tb_receive.php3?id_article=20028
article de Matthieu Grimpret, auteur de DIEU EST DANS L'ISOLOIR (Presses
de la Renaissance)
Professeur d’histoire et essayiste (auteur de DIEU EST DANS
L’ISOLOIR - Politique et religions, les retrouvailles que Marianne
n’avait pas prévues, aux Presses de la Renaissance)