Ces réseaux islamistes qui enrôlent des françaises converties...



Bruguière : «La menace terroriste est élevée»
SÉCURITÉ Jean-Louis Bruguière, le patron du pôle antiterroriste, explique l'évolution des réseaux islamistes.

Propos recueillis par Jean Chichizola et Jean-Marc Leclerc
[05 octobre 2005]

LE FIGARO. – La menace terroriste est-elle aussi élevée qu'on le dit ?


Jean-Louis BRUGUIÈRE. – Son niveau est incontestablement élevé. Jamais la radicalisation n'a été aussi forte. Elle est directement liée à la situation en Irak, qui modifie les contours de la menace. Nous assistons en fait à une mutation des réseaux, avec de nouveaux acteurs beaucoup plus jeunes, parfois même mineurs, et donc encore plus malléables. Ils se démarquent des activistes recyclés des organisations islamistes du Maghreb, tel le GIA. Ces adolescents du djihad n'ont pour certains qu'un bagage scolaire ou religieux rudimentaire mais sont prêts à s'enflammer sous l'impulsion d'un émir de circonstance. Le vivier devient de plus en plus instable.


Quel rôle jouent les convertis ?


Les convertis sont indéniablement les plus durs. Les conversions sont aujourd'hui plus rapides et l'engagement plus radical. Les jeunes recrues sont souvent dépêchées elles aussi sur les théâtres d'opérations, comme en Irak. Des femmes également se convertissent pour la cause, avec un intérêt non négligeable pour les djihadistes venus constituer ou réactiver une cellule : un mariage avec un ressortissant français, c'est l'assurance pour le futur conjoint étranger en situation irrégulière de pouvoir circuler avec des papiers en règle.


Le vivier islamiste est-il plus important qu'hier ?


Difficile à dire, car il évolue constamment. Cela tient à la nature même de ces groupes très atomisés qui ont un développement de type viral. Le noyau dur est peut-être constitué de cinquante à cent personnes. Ceux-là ont une trajectoire terroriste avérée. Ensuite, il y a le cercle des radicaux engagés qui apportent leur soutien financier ou matériel au réseau, puis celui des fondamentalistes vindicatifs, certes moins impliqués mais qui peuvent basculer à tout moment. A la différence du grand banditisme où les voyous ont tendance à vivre en vase clos, ici les acteurs, très mobiles, peuvent nouer des contacts avec d'autres activistes sur tous les continents. Ils passent sans cesse d'un cercle à l'autre. D'où la difficulté de cerner le rôle de chacun. Une rencontre apparemment fortuite peut se révéler essentielle.


A quel type d'actions faut-il s'attendre ?


Un pas a été franchi avec les attentats suicides de Londres. Mais la menace chimique reste d'actualité. Pour la simple raison que certains de ces réseaux ont travaillé sur du chimique ou du biologique primaire de type ricine ou toxine botulique. Ils ont été formés en Afghanistan, dans des camps spécialisés tenus notamment par des Egyptiens, dans le Caucase aussi, en Géorgie, en lien avec la mouvance tchétchène de l'émir Hattab, et dans l'enclave d'al-Ansar, dans le Kurdistan irakien.

Le risque nucléaire est-il sérieux ?

Une chose est certaine : le risque de bombe sale ne relève pas de la supputation. Il s'est déjà matérialisé avec l'affaire Jose Padilla, ce taliban américain de Brooklyn interpellé en mai 2002 alors qu'il voulait faire exploser une bombe radiologique aux Etats-Unis.

Le projet de loi antiterroriste vous satisfait-il ?

Les mesures proposées en matière de vidéosurveillance ou de hiérarchisation des peines sont nécessaires. La prolongation de la garde à vue antiterroriste de quatre à six jours est également devenue indispensable. A condition de bien l'encadrer légalement. Avec l'internationalisation des réseaux et les moyens techniques qu'ils emploient, les temps d'enquête et d'expertise sont devenus plus longs, et les quatre jours ne suffisent plus.


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Des Françaises converties enrôlées dans les rangs du djihad
Les réseaux islamistes ont de plus en plus souvent recours à leurs services.

Jean Chichizola
[05 octobre 2005]

ELLES S'APPELLENT Sylvie, Aurore ou Isabelle. Plus discrètes que leurs époux activistes, ces Françaises converties à l'islamisme radical sont pourtant souvent de véritables pasionarias. Les policiers français se souviennent encore de la femme d'un des terroristes du groupe de Francfort interpellé alors qu'il préparait un attentat à Strasbourg fin 2000. Drapée de noir, elle était entièrement gagnée à la cause de son mari et avait envisagé de partir avec lui en Afghanistan. Dans le groupe Beghal, qui projetait un attentat contre l'ambassade des Etats-Unis à Paris en 2001, une convertie, par ailleurs soeur de l'un des membres du groupe, avait franchi le pas et rejoint les montagnes afghanes. Sylvie G. avait d'ailleurs été interpellée le 9 février 2002 par les autorités iraniennes alors qu'elle franchissait clandestinement la frontière pakistano-iranienne en compagnie de sept autres Français. Aucune de ces converties n'a jamais participé à des projets d'attentat mais elles ont joué un rôle non négligeable dans les groupes radicaux.


«La recherche d'une femme française est une activité importante des réseaux islamistes, explique un policier spécialisé. Cela pour des raisons évidentes : elles permettent d'obtenir des papiers en règle et peuvent donner un coup de main discret. Certaines n'ont pas hésité à suivre leur homme jusque dans les pays de djihad.» Dans un milieu qui reste dominé par les hommes, ces converties peuvent notamment servir de courrier. Au fil du temps, de véritables «groupes de femmes islamistes» se sont parfois créés. «Dans ces groupes, explique le collaborateur d'un service de renseignement, des sortes d'émirs ou de gourous au féminin oeuvrent à l'endoctrinement de ces recrues. Elles contribuent également à la constitution de groupes homogènes où l'endogamie règne en maître.» Au début des années 2000, une femme installée dans les camps afghans affirmait même avoir droit de vie ou de mort sur ses camarades d'infortune.


Le recrutement de converties a enfin un dernier avantage pour les réseaux islamistes. Les jeunes femmes visées ont souvent eu un parcours personnel et social des plus chaotiques. Une fois intégrées, leur soumission est souvent totale. «Il est absolument impossible d'obtenir leur témoignage, déplore un policier du centre de la France, même quand elles sont menacées ou battues par leur conjoint ou leur entourage.»