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FONDATION OSTAD ELAHI : SECTE OU PAS SECTE ?
L'affaire de la «secte» soufie
d'Asnières reste en souffrance
La justice reporte l'examen du litige entre la mairie et la fondation
Elahi.
par Renaud LECADRE
QUOTIDIEN LIBERATION : samedi 01 avril 2006
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Alors, secte ou pas secte ? Saisie du cas de la fondation Ostad Elahi,
du nom d'un ancien magistrat iranien (1895-1974), philosophe et musicien
(grand maître du tanbur, le luth local), la justice française
a du mal à trancher. La cour d'appel de Versailles vient de reporter,
pour la seconde fois, l'examen du litige, en se réservant sept
mois de réflexion supplémentaire.
L'affaire oppose la fondation d'inspiration soufie, déclarée
d'utilité publique sous Jean-Pierre Chevènement et un
temps vice-présidée par Bernadette Chirac au maire
UMP d'Asnières (Hauts-de-Seine), Manuel Aeschlimann, proche conseiller
de Nicolas Sarkozy. En 2003, la mairie distribuait un tract à
40 000 exemplaires dénonçant une «infiltration par
les membres d'une organisation spiritualiste, ésotérique
et cultuelle», menaçant «l'intégrité
morale des Asniérois et de leurs enfants». Le mot secte
n'est pas prononcé, mais c'est tout comme. La fondation a surtout
le don d'agacer prodigieusement Aeschlimann en s'opposant à ses
projets de rénovation urbaine : plusieurs associations de défense
de riverains sont domiciliées au pavillon asniérois de
Bahram Elahi, le fils d'Ostad, que la mairie accuse de mobiliser les
habitants afin de «protéger» son propre pavillon.
En septembre, l'adjoint à la communication d'Aeschlimann était
condamné en diffamation, au motif que «les polémiques
locales à propos de l'urbanisme ne justifient aucunement l'attaque
outrancière organisée par la mairie d'Asnières».
Fin de la première manche.
Renfort. Dès le lendemain du jugement, les renseignements généraux
pondaient une note mettant en cause la fondation Ostad Elahi. Coup de
pouce de Sarko à son copain Aeschlimann ? Puis la Miviludes (mission
antisecte qui dépend de Matignon) se réveillait à
son tour en annonçant sa mise «sous surveillance».
Le prompt et tout récent renfort de la mission et du ministère
de l'Intérieur a convaincu la cour d'appel de rouvrir les débats
en réclamant la déclassification des notes des RG et en
«invitant» la mission antisecte à lui «fournir
toutes conclusions et observations». Que disent les blancs des
RG, dont Manuel Aeschlimann assure le service après-vente en
distribuant les photocopies ? Une première note de six pages
souligne que «l'installation dans les Hauts-de-Seine de ces "fervents
de Dieu" a rapidement suscité des rumeurs : il y aurait
détournement de la mystique soufiste à l'instigation de
l'actuel "maître", Bahram Elahi, qui imposerait un fonctionnement
totalitaire de son organisation, se conférant le statut de Dieu
omniscient». Une autre note raconte que, lors de l'édification
par des bénévoles d'un mausolée dans le Loir-et-Cher,
«l'organisation se souciait peu de la législation du travail».
Cela méritait bien l'estampille «confidentiel défense»...
Le point de friction le plus cher au maire d'Asnières, repris
à leur compte par les RG, concerne ce «mouvement qui s'érige
en contre-pouvoir municipal, s'accompagnant de pressions et d'intimidations
sur les élus». Pourtant, quand il était dans l'opposition
municipale, Manuel Aeschlimann s'était appuyé sur «l'organisation
Elahi» pour contester l'ancien maire. Une fois élu, il
avait même bombardé l'un de ses responsables au poste d'adjoint,
avant de lui retirer sa délégation l'an dernier. Quant
aux pressions, son directeur de cabinet, Francis Pourbagher, a porté
plainte parce qu'un responsable associatif aurait un jour tenté
de lui foncer dessus au volant de sa voiture. Le bras droit du maire
vient d'être renvoyé en correctionnel pour dénonciation
calomnieuse.
L'atmosphère est franchement empoisonnée à Asnières.
Les deux camps ne cessent de se dénigrer. Pour Me Olivier Maurice,
avocat d'un ancien membre de la fondation, spécialiste des sectes
et notamment de la scientologie, ce mode de harcèlement textuel
est typique d'un «comportement que l'on retrouve dans certaines
organisations à caractère sectaire». Mais il semble
bien partagé à Asnières.
Danger. L'une des victimes collatérales de ces règlements
de comptes est Mayetic, une start-up spécialisée dans
l'espace collaboratif (Intranet sur Internet) dont la Caisse des dépôts
possède un tiers du capital. Elle est dirigée par deux
responsables associatifs de la fondation Elahi, et a donc eu droit à
sa note RG insistant sur le fait qu'elle équipe l'Otan, les directions
générales de la gendarmerie nationale et de l'aviation
civile. Danger ! Risque d'infiltration ! «Tous nos clients et
actionnaires potentiels ont pris peur, la société a été
liquidée en un mois et demi, résume son fondateur, Bruno
de Beauregard. Il est inadmissible qu'on puisse ainsi flinguer une boîte
en plein essor.» La mairie a dû se fendre d'un énième
communiqué l'imprimerie, voilà au moins un secteur
qui marche bien à Asnières pour rejeter toute responsabilité
dans le torpillage de la start-up.
L'affaire Aeschlimann-Elahi se double d'un «Irasnières
Gate», selon la terminologie locale. Les Iraniens sont partout
! Au sein de la famille Elahi, donc, originaire d'un village kurde à
80 km au nord de Téhéran ; à la mairie, en la personne
de Francis Pourbagher, récemment interviewé par la télé
iranienne en compagnie de sa femme française, recouverte pour
l'occasion d'un voile. Les deux camps protestent de leur républicanisme
antimollahs : «Les Elahi ont quitté l'Iran en 1993, treize
ans après la révolution islamique, se justifie Pourbagher.
Moi, je suis parti en 1979.» Aeschlimann peut être satisfait
: «Je ne suis plus l'affreux du village, le problème dépasse
largement le cas d'Asnières.» De fait, on ne s'est jamais
autant intéressé à sa bonne ville de banlieue ouest,
en plein fief sarkozyste.