A
Asnières, la musique soufie n'adoucit pas le maire
L'élu dénonçait une secte. Débouté
par la justice, il reçoit l'appui des RG.
par Renaud
LECADRE
QUOTIDIEN : mercredi 28 décembre 2005
Le soufisme et la musicologie sont-ils susceptibles de dégénérer
en pratiques sectaires ? Vaste débat, dans lequel s'est engouffré
le député-maire (UMP) d'Asnières (Hauts-de-Seine),
Manuel Aeschlimann. Dans sa ligne de mire, la Fondation Ostad Elahi,
du nom d'un ancien magistrat iranien (1895-1974), philosophe et musicien
(grand maître du tanbur, le luth local), dont la famille réfugiée
en France perpétue la mémoire via une association déclarée
d'utilité publique en 2000. Jean-Pierre Chevènement, peu
suspect de complaisances cléricale ou sectaire, était
alors ministre de l'Intérieur. Quatre ans plus tard, Bernadette
Chirac acceptera d'en être la présidente d'honneur.
Amis-ennemis.
Le président de la fondation, Bahram Elahi, fils d'Ostad et médecin
de profession, réside à Asnières. Dans sa vie profane,
il est très sensible aux questions d'urbanisme. Au début
des années 90, Aeschlimann et Elahi faisaient cause commune contre
les projets immobiliers du maire de l'époque. «Il s'est
servi de lui et de ses associations de quartier pour prendre le pouvoir
à Asnières, affirme Me Farthouat, avocat de Bahram Elahi.
Une fois élu maire, M. Aeschlimann a repris les projets immobiliers
à son compte et n'avait plus besoin de M. Elahi.» L'entourage
de l'actuel maire d'Asnières résume autrement l'affaire
: «De vraies-fausses associations de quartier ont été
créées par des membres de la Fondation Elahi, afin de
protéger la rue ou ils habitent et plus précisément
le pavillon de Bahram Elahi.» En 2003, la guerre est déclarée
: un tract du maire, tiré à 40 000 exemplaires, dénonce
une «infiltration par les membres d'une organisation spiritualiste,
ésotérique et cultuelle», menant une «campagne
de déstabilisation sous paravent associatif», menaçant
«l'intégrité morale des Asnierois et de leurs enfants».
Le mot secte n'est pas prononcé, mais c'est tout comme. En retour,
les adversaires du maire dénoncent sa vigilance à géométrie
variable : dans le même temps Aeschlimann accordait un permis
de construire aux Témoins de Jéhovah.
L'affaire
a connu un point d'orgue en septembre lorsque l'adjoint au maire chargé
de la communication, rédacteur du tract, a été
condamné pour diffamation au motif que «les polémiques
locales à propos de l'urbanisme ne justifient aucunement l'attaque
outrancière organisée par la mairie d'Asnières».
A l'audience, la Fondation Elahi avait produit de nombreux témoignages
de bonne moralité. Philippe Bruguière, conservateur de
la Cité de la musique : «Oui, pour reprendre l'expression
de ses détracteurs, la musique d'Ostad Elahi est empreinte de
pouvoir émotionnel. Mais il est injurieux de réduire cette
qualité intrinsèque de l'art musical à une manipulation
psychologique.» Jean-Michel Belorgey, ancien député
PS, membre du Conseil d'Etat : «Je comprends que Manuel Aeschlimann
éprouve quelques difficultés à se glisser dans
la pensée d'Ostad Elahi. Il serait impudent, du seul fait de
la référence aux formes singulières de relation
de maître à disciple qui ont cours en Orient, de conclure
à une nature sectaire.» Le tribunal enfonçait le
clou en rappelant qu'il «n'est pas rapporté que les Renseignements
généraux (RG) et la mission en charge des menées
sectaires (Miviludes) aient répertorié la fondation»
comme une authentique secte.
Messie.
Dès le lendemain du jugement, avec une réactivité
qui force l'admiration, les RG rédigeaient une note mettant en
cause «la soumission absolue des disciples à un maître
se considérant comme une sorte de messie». En contradiction
totale avec le tribunal de Nanterre, ils donnaient crédit aux
«tentatives d'infiltration» de la mairie d'Asnières
(le Monde du 22 octobre). Manuel Aeschlimann étant un proche
de Nicolas Sarkozy, tutelle des RG au ministère de l'Intérieur,
on pourrait y voir un coup de pouce franchement téléphoné.
Après bien des atermoiements, la Miviludes (qui dépend
de Matignon), embrayait fin octobre en annonçant la «mise
sous surveillance» de la Fondation Elahi. Plus récemment,
Bernadette Chirac a fait savoir que son titre de présidente honoraire
était tout ce qu'il y a de plus honorifique, n'ayant jamais participé
à la moindre réunion de la fondation. Dans la foulée,
le PS d'Asnières dénonçait une «machination
politique de l'UMP».
Saisie
en appel, la cour de Versailles a reporté sa décision,
les deux parties s'écharpant sur la prise en compte, ou pas,
du rapport des RG dont nul n'a obtenu copie, en dehors d'extraits publiés
dans la presse. Il ferait état d'une nébuleuse internationale
usant de prête-noms.
Aeschlimann
plastronne : «Je ne suis pas l'affreux du village qui veut se
farcir une association locale. Le problème dépasse aujourd'hui
Asnières.» Jugement en janvier.