La municipalité et l'opposition ne s'affrontent plus que par justice interposée.
La dérive procédurière gangrène la mairie d'Asnières


Société

Par Renaud LECADRE
LIBERATION lundi 27 novembre 2006


Fief sarkozyste et quatrième ville des Hauts-de-Seine, Asnières ne fonctionne plus que par tribunaux interposés. La vie municipale est paralysée par les plaintes en diffamation et les recours devant le tribunal administratif. Les élus de la majorité comme ceux de l'opposition sont plusieurs fois mis en examen, leurs casiers judiciaires respectifs s'allongent de jour en jour. Le budget justice de la mairie (600 000 euros par an) dépasse celui de la communication déjà colossal (six revues municipales, y compris pour les enfants). Manuel Aeschlimann, maire UMP d'Asnières depuis 1999, conseiller pour l'opinion de Nicolas Sarkozy, ne saurait-il faire que ça, communiquer et porter plainte?

«Ne nous renvoyez pas dos-à-dos», plaide l'élu en évoquant ses opposants. Asnières, commune solidement ancrée à droite, vit au rythme des dissidences au sein de la majorité municipale. L'opposition de gauche se contente d'en rajouter. Ambiance délétère par tracts incendiaires interposés.
«Guérilla». Manuel Aeschlimann, arrivé au pouvoir par une succession de révolutions de palais, n'est pas plus véhément qu'un autre, il est même doué d'autodérision ­ «On m'a traité de con en plein conseil municipal, encore faudrait-il parfaire la démonstration.» Mais il cristallise les antagonismes dans une ville ou les enjeux immobiliers font souvent les élections ­ s'appuyant un jour sur des associations de riverains, les répudiant le lendemain. «Il y a eu des tracts assez hards, dit-il, auxquels nous répondions par d'autres tracts. Mes adjoints à la communication ont été souvent condamnés: on se faisait allumer par les tribunaux au motif qu'une municipalité dispose de bien plus de moyens que son opposition.»
Changement de stratégie. La mairie d'Asnières ne réplique plus par tract, mais porte systématiquement plainte en diffamation. Y compris pour des propos tenus au sein du conseil municipal, où un huissier est payé pour consigner toute «intervention insultante, menaçante et outrageante, tant par le public que par les élus». Des micros sont disposés partout dans la salle, au cas ou des noms d'oiseaux lui échapperaient. «L'idée d'origine était de faire cesser les attaques personnelles, de créer un climat plus constructif. Mais cette guérilla a fini par inhiber totalement la démocratie. Asnières, c'est Sarajevo.» L'homme qui parle, Francis Pourbagher, a été pendant six ans le fidèle directeur de cabinet du maire, chargé des basses oeuvres, selon l'opposition. Il vient de la rejoindre, après son licenciement en octobre, et annonce sa candidature contre Manuel Aeschlimann dans un tract où il fustige ses «frais d'avocats», sa «communication à outrance», ponctué par «la mairie ne t'appartient pas.»
«Terreur» Au sein du conseil municipal, Pourbagher est unanimement considéré comme aussi intelligent que mythomane. Dit-il donc la vérité en affirmant que la politique de plainte systématique a mis «l'opposition aux abois» ? Sébastien Pietrasanta, chef de file du PS asniérois, n'est pas loin de confirmer: «La mairie dépose plainte sur plainte pour essayer de nous intimider. Je ne vais pas dire que ça marche, mais très honnêtement, on vit dans la terreur: des gens se cachent pour me parler.» Manuel Aeschlimann rétorque que ses opposants de tous bords savent aussi manier l'assignation: 159 délibérations municipales contestées devant le tribunal administratif, «un cas unique en France».
Les passes d'armes se déplacent sur l'Internet. Asnières est aujourd'hui la ville de France la plus commentée sur la blogosphère. L'animateur du site asnierois.org, aussi informé que pugnace, a été condamné pour avoir refusé sur son site un droit de réponse d'Aeschlimann. Autant pour ce dernier: la mairie a aussi été condamnée pour avoir refusé de publier une tribune de l'opposition dans sa revue municipale. Aeschlimann se justifie en affirmant qu'il se voyait mal attaquer en diffamation, outre les auteurs, le directeur de la publication, son propre adjoint à la communication... A lire le texte censuré, pas de quoi fouetter un chat: deux élus PS se contentaient de réclamer la «démission des élus condamnés par la justice». Il est vrai que ça ferait du monde.
Mégaphone. Manuel Aeschlimann a résolu la question en supprimant les tribunes politiques (y compris son propre éditorial) d'ici aux élections. Il n'est pas encore question de supprimer les conseils municipaux, mais c'est tout comme: réduits déjà à quatre par an (le minimum légal), le dernier s'est achevé par une descente de police. Ce 28 septembre, deux opposants haussent le ton; le maire coupe leur micro; ils poursuivent à l'aide d'un... mégaphone. Aeschilmann a prévu le coup par une réquisition préalable de la force publique, «considérant que le rétablissement de l'ordre et donc de la sérénité doit présider aux débats». La police municipale intervient, l'opposition refuse de lâcher son mégaphone. Sur un coup de fil, la BAC (Brigade anticriminalité) débarque. «Je ne suis pas très favorable au porte-voix, tempère Sébastien Pietrasanta, mais il faut voir le contexte local. La BAC en plein conseil, c'est du jamais vu!»

Les RG au secours du maire

Par Renaud LECADRE
LIBERATION lundi 27 novembre 2006



Etonnante intervention de Brice Hortefeux (lieutenant de Sarkozy), en octobre, dans un forum consacré à l'exil aux Etats-Unis de deux fondateurs d'une start-up, Mayetic, placée en liquidation judiciaire après qu'une note des RG les désignait comme membres d'une secte: «Le ministre d'Etat [Sarkozy] est complètement étranger, j'insiste COMPLÈTEMENT, aux déboires de ces chefs d'entreprise [...] peut-être victimes de déstabilisation ayant pour origine le cabinet de la mairie d'Asnières.» Bruno de Beauregard, de Mayetic, est membre de la Fondation Elahi, du nom d'un mystique iranien, qui conteste des projets urbains de la mairie. Manuel Aeschlimann avait stigmatisé «une organisation spiritualiste menaçant l'intégrité des Asniérois». Suite à la condamnation de la mairie pour diffamation en 2005, les RG avaient dénoncé le «fonctionnement totalitaire» d'Elahi.