Il
manque 20 000 logements neufs par an dans la région
LE MONDE | 14.09.05 | 13h59
La construction de logements est en panne en Ile-de-France. Quelle est
actuellement l'ampleur du déficit ?
Il
manque 20 000 logements neufs par an dans la région. On en construit
de l'ordre de 35 000, alors que le schéma directeur de 1994 en
prévoyait 53 000. Et l'on n'a pas, à l'époque,
surestimé les besoins puisque le dernier recensement de 2004
montre que la croissance démographique est passée d'environ
30 000 habitants supplémentaires dans la région au début
des années 1990 à 60 000 par an aujourd'hui. L'Ile-de-France
a une population qui progresse au même rythme que le reste du
territoire national.
A
cela il faut ajouter que, pour une population donnée, la baisse
de la taille des ménages augmente les besoins en logements pour
une population donnée. Nous sommes donc bien, depuis environ
dix ans, dans une situation de crise.
Comment en est-on arrrivé là ?
Il
n'y a pas une cause unique, la situation actuelle est le résultat
d'un processus long dont on n'a pas, à temps, mesuré les
conséquences. Dans les années 1900, on a fabriqué
un système de production du logement qui a mis cinquante ans
à se mettre en place. Avec l'Etat comme pilote unique, la mise
en place progressive de lois, d'outils financiers puissants et d'opérateurs
fonciers et immobiliers. Ce dispositif était mûr dans les
années 1960 et on a produit, à l'époque, en Ile-de-France,
de l'ordre de 100 000 logements dont 30 000 logements sociaux.
Mais les territoires mis à l'index aujourd'hui sont nés
à cette période...
On
peut discuter sur la qualité de ces logements, sur leur localisation,
mais on a réussi, à l'époque, à sortir de
la situation de pénurie. Dans la période suivante, on
a diminué les aides à la pierre, c'est-à-dire les
aides publiques à la construction, au profit des aides à
la personne, on a incité les Français à accéder
à la propriété, enfin, on a abandonné les
politiques keynésiennes qui consistaient à utiliser le
logement comme un outil de relance économique.
Il
y a eu un nouveau virage, en 1984, avec le transfert de la responsabilité
du droit des sols aux collectivités locales. Auparavant, l'Etat
et ses grands établissements publics étaient des machines
à produire du terrain. Du terrain bon marché situé
aux franges de la ville. Avec le droit du sol confié aux communes,
c'est une page qu'on a tournée. Mais le système précédent
avait sa cohérence et il a fonctionné jusqu'au milieu
des années 1980. On ne peut pas y revenir.
L'Etat
ne reprendra pas la main, je ne le pense pas. On a donc besoin de reconstruire
des outils et un dispositif d'ensemble cohérent, notamment au
niveau régional.
Ce changement de logique a-t-il eu des effets plus importants
en Ile-de-France ?
Probablement,
oui. En Ile-de-France, avec 1 200 communes, le paysage institutionnel
est très émietté. Les élus ont légitimement
pris en main les nouvelles responsabilités qui leur étaient
confiées, mais en tenant compte des intérêts locaux.
Auparavant,
on produisait beaucoup aux marges de la ville sur des champs de betteraves.
On n'avait pas besoin, alors, de prendre en compte les populations locales.
Avec le pouvoir donné aux élus, le jeu est plus compliqué...
C'est ce qu'on a mal mesuré. Notamment parce que le marché
a momentanément pris le relais pendant les années 1980.
Au
moment de l'élaboration du précédent schéma
directeur, on était encore dans un rythme de construction assez
satisfaisant. C'est après 1990, avec la crise immobilière,
qu'on a pris conscience du changement des règles du jeu.
Les inégalités s'accroissent en Ile-de- France.
La faible construction de logements est-elle un facteur aggravant ?
L'espace
francilien est très structuré socialement, ce qui n'était
pas le cas dans les années 1960, où la mobilité
des ménages était plus importante. La mixité sociale
est un objectif louable, mais on ne rebat pas les cartes aussi aisément,
d'autant qu'on ne produit que 30 000 logements neufs.
La loi de décentralisation d'août 2004 a transféré
aux groupements intercommunaux les aides publiques à la construction.
Cela va-t-il dans le bon sens ?
Ce
qui fait défaut, c'est une stratégie globale définissant
des objectifs de construction, une politique foncière et le volume
des aides publiques à mobiliser. C'est aussi l'exercice de la
solidarité entre des territoires inégaux qui ne peut prendre
un sens qu'à l'échelle de la région. La loi d'août
2004, qui émiette un peu plus les responsabilités, nous
éloigne de cette perspective d'un dispositif d'ensemble cohérent
et efficace. Je crois qu'on a grillé une étape.
Propos
recueillis par Christine Garin
Article paru dans l'édition du 15.09.05