L'extrême droite exploite une brèche judiciaire pour
bloquer plusieurs projets.
(Libération du 5 mai 2007)
Des mosquées menacées au nom de la loi de 1905
Par Catherine COROLLER
QUOTIDIEN : samedi 5 mai 2007
L'extrême droite va-t-elle contraindre le prochain ministre
de l'Intérieur à modifier la loi de 1905 afin de permettre
à l'Etat de subventionner ouvertement la construction de mosquées
? La question peut se poser après l'avis rendu mercredi par
le commissaire du gouvernement du tribunal administratif (TA) de Cergy-Pontoise
(Val-d'Oise), qui a jugé illégal le bail de la future
mosquée de Montreuil (Seine-Saint-Denis).
Pour aider les musulmans à se doter de lieux de culte, la plupart
des communes utilisent un artifice juridique. Elles mettent à
leur disposition un terrain sous forme de bail emphytéotique
(d'une durée de quatre-vingt-dix-neuf ans) contre un loyer
symbolique (un euro dans le cas de Montreuil). Seulement voilà,
le Mouvement national républicain (MNR) de Bruno Mégret
estimant que cette facilité s'assimile à un financement
indirect, interdit par la loi de 1905 sur la séparation entre
l'Eglise et l'Etat, a déposé un recours devant le TA.
Le commissaire du gouvernement a jugé que «le bail emphytéotique
concédé pour un euro symbolique par an s'assimile à
une subvention déguisée», s'indigne Jean-Pierre
Brard, maire (apparenté PC) de Montreuil. L'avenir de la mosquée
est seulement en suspens, puisque les magistrats qui rendront leur
décision dans les prochaines semaines ne sont pas tenus de
suivre cet avis.
Désarroi. Mais cette prise de position arrive quinze jours
après que le TA de Marseille, saisi par ce même MNR mais
aussi par le Front national (FN) et le Mouvement pour la France (MPF),
a annulé une délibération du conseil municipal
de la ville mettant à la disposition des musulmans un terrain
de 8 600 m2 pour un loyer annuel de 300 euros. «Ledit bail constitue
une subvention déguisée», ont également
argumenté les magistrats.
L'extrême droite a-t-elle décidé d'empêcher
toutes les constructions de mosquées ? Le MNR a attaqué
la mairie de Créteil (Val-de-Marne). «Ça fait
longtemps que le MNR essayait, mais jusqu'à présent
sans résultat», rappelle Didier Leschi, chef du bureau
des cultes du ministère de l'Intérieur. Wallerand de
Saint-Just, avocat du FN, revendique pour sa part deux victoires,
«à Roubaix et à La Rochelle». En l'occurrence,
les délibérations du conseil municipal ne portaient
pas sur la signature d'un bail emphytéotique : «A Roubaix,
la mairie voulait subventionner une association pour faire des travaux
transformant un immeuble en mosquée. A La Rochelle, elle avait
décidé de prendre en charge les travaux pour réaliser
une mosquée dans un bâtiment municipal.»
Pour l'instant, Me Saint-Just n'a pas «connaissance d'autres
affaires à venir». Il est vrai que la saisine du TA exige
un certain nombre de conditions, dont «un intérêt
à agir» qui réserve aux habitants de la commune
concernée la possibilité de déposer un recours.
Mais, précise l'avocat, «à chaque fois qu'un conseiller
municipal ou un contribuable nous avertit, on y va».
Ces décisions judiciaires interviennent alors que les projets
se multiplient, le plus souvent grâce à des subventions
municipales. «Sur les deux ou trois dernières années,
il s'est ouvert une mosquée ou une salle de prière par
semaine», rappelle Didier Leschi. Les musulmans ne sont cependant
pas les seuls à bénéficier de la générosité
publique. «La pratique des baux emphytéotiques a débuté
il y a très longtemps, quand l'Eglise catholique a voulu construire
de nouveaux lieux de culte en banlieue, rappelle Pierre-Henri Prélot,
auteur du Traité de droit français des religions (1).
Et il y avait une sorte de consensus, y compris chez les plus laïcistes,
à ne pas attaquer.» Première brèche, selon
Wallerand de Saint-Just, «lorsque le pape est venu à
Reims, il y a une quinzaine d'années, le maire avait voté
une subvention pour l'accueillir. Les libres-penseurs ont fait un
recours, et la décision du maire a été annulée».
Aujourd'hui l'extrême droite n'entend évidemment pas
s'en prendre à l'Eglise catholique, mais seulement aux musulmans.
«On ne met pas sur un pied d'égalité les religions
chrétiennes et une religion installée depuis quelques
décennies et qui a du mal à respecter les lois de la
République», affirme Nicolas Bay, délégué
à l'action politique du MNR.
«Tranquillement». Une jurisprudence semble donc se dessiner.
D'autant qu'à Marseille, au lieu de se pourvoir en appel, ce
qui aurait permis un réexamen de l'affaire, les édiles
phocéens ont rédigé un nouveau bail. Que se passerait-il
si la justice administrative devait prononcer d'autres annulations
de ce type ? «Soit on demande à des riches Saoudiens
de nous construire des minarets, soit on modifie la loi de 1905»,
ironise Didier Leschi. Interrogé le 18 avril sur la décision
du TA de Marseille, Nicolas Sarkozy a affirmé qu' «il
n'y a aucune raison pour qu'une religion ne puisse pas vivre son culte
tranquillement», ajoutant que la loi de 1905 est «un bon
équilibre» et qu' «on ne change pas les grands
équilibres de la loi de 1905». Mais le même jour,
François Grosdidier, député de la Moselle et
secrétaire national à l'intégration de l'UMP,
auteur en juin 2006 d'une proposition de loi «visant à
permettre aux collectivités territoriales de construire des
lieux de culte», appelait à une «modification réglementaire,
voire législative», de ce texte.