A Asnières, c'est le maire qui chauffe les nuits



A son appel, des citoyens ont quadrillé la ville, lundi soir. Une opération de com' à destination des médias.

par Cédric MATHIOT
QUOTIDIEN : mercredi 09 novembre 2005


Quand Nicolas Sarkozy est en retrait, il a toujours un fidèle pour dégotter une idée choc. Lundi soir, Manuel Aeschlimann, maire UMP d'Asnières-sur-Seine (Hauts-de-Seine), lançait son comité de veille. Du grand spectacle. Il est 21 heures, autour de la table de l'hôtel de ville, une trentaine d'Asniérois : un honorable médecin sexagénaire, quelques habitants des quartiers nord de la ville, un boulanger, une responsable de la maison des femmes. Ils ont répondu à l'appel guerrier du maire : «Le temps est venu de se retrousser les manches pour aider policiers et pompiers, et laisser les pleureuses se complaire dans une passivité politiquement correcte.» Même si Asnières, depuis une semaine, a été très peu touché avec une vingtaine de véhicules brûlés, l'initiative a drainé autant de journalistes que de citoyens. «Notre objectif, déclame le maire, venir en soutien aux forces de police et aux pompiers. On n'est pas là pour faire l'ordre nous-mêmes. Par contre, tourner en voiture, s'organiser, diffuser des infos, c'est un plus pour ramener calme et sécurité. Ne prenez pas de risques physiques ou personnels, on n'est pas des Rambo.» Plan de bataille : «Il y a vingt véhicules, on partage la ville en quatre secteurs.»

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En fait, le souci d'organisation, ce sont les journalistes. Tout le monde veut sa place à bord d'un véhicule patrouilleur. Si bien que l'opération ressemble à un grand voyage organisé. Le directeur de cabinet du maire affecte les véhicules. Priorité aux télés. «France 3, vous embarquez avec le docteur Mouillot qui tournera dans le secteur de l'hôtel de ville.» «On aimerait mieux les quartiers nord», dit le journaliste de France 3. Ce sont les quartiers chauds. Tout le monde veut les quartiers nord. Libération accompagne Dominique, 58 ans, chargé de veiller sur le quartier Bac Magenta, où il vit. C'est du résidentiel chic. Il le dit tout net : «C'est clair qu'il ne se passera rien du tout.»

Dominique est le photographe municipal depuis vingt-huit ans. Alors qu'il passait en mairie dans l'après-midi, on lui a proposé de participer. Il a accepté. «Pour une heure et demie, pas plus.» Il fait équipe avec Gérard (blouson bombers siglé «parachutiste» sur l'épaule, rangers, treillis noir), boulanger dans le civil, encarté UMP et agent de sécurité «bénévole» dans les meetings du parti. Lui aussi a été contacté pour faire nombre.

Il est 21 h 40, la R25 navigue dans les rues pavillonnaires. Bac Magenta, c'est calme. Dominique cause. Gérard scrute. Rien. Dominique : «Allez, on va faire un tour dans les quartiers nord.» Bingo : la R25 croise une bande de dix jeunes, encapuchonnés. Gérard : «Eux, ils vont faire des conneries.» Dominique trace sa route : «On fera demi tour tout à l'heure. Cela ne sert à rien de les suivre. Nous serions repérés.» Gérard opine. «On n'est pas des miliciens. Les milices elles sont armées et recherchent l'affrontement. Nous on est là pour prévenir s'il y a un feu, et éteindre les incendies.» La R25 passe au pied des immeubles des quartiers nord. Cité des fleurs. Calme. Il est 22 h 30. «Bon, on refait un petit tour et je vous dépose», suggère Dominique, au moment où déboule une voiture de police, sirène hurlante. La R25 embraye. Au bout de la rue Raymond-Poincaré, plusieurs véhicules de police stationnent au pied d'un immeuble. Une dizaine de jeunes aussi. Ça braille. Tout est parti d'un contrôle un peu musclé. Pas grand-chose, sauf qu'affluent les véhicules de police et, à leur suite, plusieurs voitures du comité de veille qui crachent les journalistes sur le trottoir. Les jeunes descendent en masse des cages d'escaliers pour prendre à témoin les caméras. Les policiers mettent les casques antiémeutes. Si bien qu'un cordon de flics fait maintenant face à une quarantaine de 12 à 16 ans.

C'est là qu'arrive le maire. Le coup de com' menace de virer au fiasco. Un jeune, à l'adresse des policiers : «Maintenant que le maire est là, on la ramène moins, on fait les fillettes.» Au milieu, le maire est un peu secoué. «Monsieur, à quoi ça sert qu'on travaille à l'école ? Moi, j'ai le BEP. Les CV, on sait les faire, mais ça sert à rien de les envoyer.» Un autre : «Pourquoi il n'y a plus un seul contrôle de police normal, monsieur ?» A l'écart, Nadir (1), 17 ans, fort amusé : «Ici, il s'était rien passé depuis une semaine, à part un Abribus cassé. Et c'est le maire qui ramène les caméras et qui vient foutre le bordel. C'est la meilleure de l'année.» Au bout de vingt minutes de discussions, les jeunes se dispersent. Gérard fait signe qu'on y va. Dominique le pose devant la boulangerie.

Ce soir, Gérard repart en mission. Dominique fait relâche. La mairie a dressé un bilan positif de la première nuit : «Il y a eu des feux de poubelles signalés par les véhicules du comité de veille. Le maire est également intervenu rue Raymond-Poincaré devant un attroupement de jeunes, évitant ainsi un affrontement avec les forces de l'ordre.»

(1) Le prénom a été changé