L'INTERCOMMUNALITE,
facteur de hausse de la fiscalite locale...
la Cour des comptes et le Gouvernement constatent les dérives
financières
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Le gouvernement veut freiner les dérives de l'intercommunalité
LE MONDE | 07.10.05 | 13h20 • Mis à jour le 07.10.05 | 13h20
L'intercommunalité est dans la ligne de mire du gouvernement.
Convaincu qu'elle est un facteur de hausse de la fiscalité locale,
il entend remettre en question le mouvement de regroupement des communes
et reprendre en main le système pour le rendre plus efficace.
Celui-ci est pourtant quasi généralisé : 83 % de
la population vit aujourd'hui au sein d'une agglomération ou
d'une communauté de communes et 87 % des communes sont regroupées.
Un bilan "coûts-avantages" négatif
La Cour des comptes rendra, début décembre, un rapport
très sévère sur l'intercommunalité. Il devrait
pointer les "risques de dérives financières des regroupements
de communes" et dresser un "bilan coût-avantages"
très négatif du système. Sur les 135 structures
intercommunales étudiées, "il nous a été
très difficile de trouver des exemples de mutualisation des services
entre communes, relève Jean-Philippe Vachia, conseiller-maître
à la Cour et auteur du rapport. Les cas où l'intercommunalité
a donné lieu à des efforts d'économie de dépenses
et de moyens sont très rares".
Dans
ses recommandations, la Cour demande aux élus de "définir
plus clairement ce qui relève des compétences de leurs
communes et celles qui sont à transférer aux groupements
intercommunaux" . Elle suggère que les préfets coordonnent
davantage l'organisation des intercommunalités dans leurs départements.
Vendredi 7 octobre, à Angers (Maine-et-Loire), le ministre délégué
aux collectivités territoriales, Brice Hortefeux, devait dresser
un bilan très critique du système devant plusieurs centaines
d'élus réunis lors de la convention nationale de l'Assemblée
des communautés de France (ADCF).
Pour
le ministre, il n'a pas abouti aux économies d'échelle
escomptées, il a compliqué les rapports politiques entre
les élus et rendu les circuits de décisions plus opaques.
Enfin, les intercommunalités n'ont pas permis, faute de "périmètres
pertinents", de mettre en oeuvre les projets de développement
économique et d'aménagement du territoire espérés.
Un
constat "accablant" , selon M. Hortefeux, qui justifie le
recadrage qu'il entend imposer à un dispositif nettement encouragé,
ces dernières années, par les gouvernements de gauche.
Le
29 septembre, le ministre a donc demandé aux préfets de
département de sévir. Ils devront désormais bloquer
les projets des élus quand le périmètre de la nouvelle
intercommunalité ne leur semblera ni "pertinent" ni
"cohérent" en termes "de bassins de vie, de bassins
d'emploi et de flux de transports" . Ils devront en revanche encourager
les fusions des petites intercommunalités qui n'ont pas les moyens,
à elles seules, de financer leurs projets. En juillet, Hervé
Mariton, député (UMP) de la Drôme, avait préparé
l'offensive : "L'intercommunalité aura plus coûté
qu'elle n'aura permis d'économiser", avait-il indiqué
dans un rapport parlementaire sur l'évolution de la fiscalité
locale.
La
loi Marchand du 6 février 1992, relative à l'administration
territoriale de la République, et surtout la loi Chevènement
du 12 juillet 1999, relative au renforcement de la coopération
intercommunale, avaient prévu de fortes incitations financières
de l'Etat pour encourager les maires à se regrouper. Mais ces
"carottes fiscales" ont aussi entraîné des effets
d'aubaine. Poussées "par l'intérêt financier"
, a expliqué M. Hortefeux devant les préfets, certaines
communes se sont rassemblées pour pouvoir "se partager un
gâteau plus grand" sans pour autant chercher à "maîtriser
l'avenir et les finances de leur territoire". "Tout comme
dans le domaine des étrangers, nous n'accepterons plus de mariages
blancs" , a-t-il prévenu. Le gouvernement satisfait ainsi
les attentes d'une partie de sa majorité.
L'intercommunalité
suscite de plus en plus de mécontentement chez les maires ruraux
et de petites villes. Passée l'euphorie des premières
années, ces élus ont à gérer les difficultés
politiques et économiques des structures qu'ils ont mis en place.
S'ils trouvent des intérêts à s'associer pour un
meilleur fonctionnement des services - l'assainissement, le tri
sélectif et les transports, par exemple -, ils acceptent
mal la perte d'autonomie politique et financière qu'entraîne
le regroupement. A Montpellier, par exemple, les élus de droite
ont récemment obtenu l'annulation du projet d'extension de la
communauté d'agglomération (Le Monde du 22 septembre).
A l'instar des petits élus, une bonne part des présidents
de conseils généraux de droite - mais aussi de gauche
- ont toujours suspecté l'intercommunalité d'avoir
été encouragée pour démembrer leur pouvoir.
"SOLIDARITÉ FINANCIÈRE"
A la présidence du conseil général des Hauts-de-Seine,
Nicolas Sarkozy partage cette crainte. "Il n'a pas du tout envie
de voir se développer de nouvelles féodalités.
Depuis son élection, dans notre département, le préfet
a été prié de lever le pied" , confie Philippe
Pemezec, député UMP des Hauts-de-Seine et maire du Plessis-Robinson.
" Ma commune a été intégrée quasiment
de force dans le périmètre de la communauté d'agglomération
des Hauts-de-Bièvre, poursuit l'élu francilien, parce
jusqu'ici les préfets étaient chargés de faire
naître à marche forcée des regroupements. Cela n'a
rien apporté à ma commune. Nous avions déjà
mis en place tous les services."
Avec
Patrick Beaudouin, député (UMP) du Val-de-Marne, maire
de Saint-Mandé, M. Pemezec a publié un Livre noir de l'intercommunalité
dans lequel il dénonce les "doublons" de personnels
et de moyens, les "marchandages politiques" entre élus
d'une même intercommunalité. Ils ont l'intention de déposer
une proposition de loi facilitant le divorce entre une commune et une
intercommunalité.
Président
de l'ADCF et président (UMP) de la communauté d'agglomération
du Grand Rodez, Marc Censi a défendu, jeudi, à Angers,
les "acquis" de l'intercommunalité. Elle a permis,
selon lui, de "resserrer les écarts de richesses "
entre les communes, grâce à "la solidarité
financière", et "permis aux petites communes d'avoir
des moyens d'expertise, des services, des capacités techniques
inédites" .
Jacques
Pélissard, président (UMP) de l'Association des maires
de France, est également monté au créneau. Dans
une tribune publiée dans Les Echos , lundi 3 octobre, il s'en
est pris aux "jugements hâtifs qui ne doivent pas servir
d'arguments commodes dans une période de rigueur budgétaire
où l'Etat cherche des responsables".
Béatrice
Jérôme
Article paru dans l'édition du 08.10.05
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Rémy Le Saoult, sociologue à l'université de Nantes
"Même le maire de la plus petite commune peut s'opposer"
LE MONDE | 07.10.05 | 13h20 • Mis à jour le 07.10.05 |
13h20
Quel
bilan dressez-vous de l'intercommunalité ?
En une décennie, la France a vécu une révolution
silencieuse en la matière. Aujourd'hui, les intercommunalités
gèrent des compétences lourdes comme le développement
économique, l'aménagement du territoire, une partie de
l'urbanisme, les grands équipements... Dans de nombreux espaces
ruraux, l'accès à la culture est souvent conditionné
par l'intercommunalité : médiathèques, écoles
de musique, etc. Dans les grandes agglomérations, les transports
en commun ou le tri sélectif ne seraient pas possibles sans une
mutualisation des moyens entre les communes. Mais, surtout, certains
groupements lèvent l'impôt, notamment, la taxe professionnelle.
On dénombre actuellement 2 524 structures intercommunales à
fiscalité propre.
Les
critiques actuelles vous paraissent-elles fondées ?
Celles qui portent sur le niveau des dépenses et sur la fiscalité
sont surtout relayées par le gouvernement et la majorité
parlementaires. On peut supposer qu'elles s'inscrivent dans la thématique
actuelle de la baisse des impôts et de la dépense publique.
Ces critiques me paraissent conjoncturelles.
En
revanche, celles qui portent sur la pertinence des découpages
et la taille des structures, jugées trop petites, sont récurrentes.
L'Etat a toujours eu le souci de proposer des découpages institutionnels
locaux qui permettent aux élus d'offrir des services sans pour
autant trop augmenter la dépense publique. Même si les
dispositifs sont encore largement perfectibles, la dynamique est lancée.
Pourquoi le citoyen se sent-il si peu concerné par l'intercommunalité
?
Les
maires qui veulent informer précisément la population
courent le risque de passer pour des "techno" et de perdre
de la "proximité", donnée primordiale du travail
politique aujourd'hui. Ils peuvent craindre aussi de brouiller la vision
traditionnelle et dominante du maire, considéré comme
le seul détenteur du pouvoir sur son territoire.
L'élection des conseillers intercommunaux au suffrage
universel direct pourrait-elle corriger les défauts du système
?
Cela donnerait aux citoyens une meilleure visibilité mais entraînerait
aussi une concentration du pouvoir politique au sein des intercommunalités.
Aujourd'hui, tous les conseillers ont voix au chapitre et, dans une
grande intercommunalité, même le maire de la plus petite
commune peut s'opposer en se revendiquant de sa légitimité
de maire obtenue par les urnes. On peut craindre aussi que l'instauration
du suffrage universel introduise des clivages politiques là où,
actuellement, les élus marchent au consensus. Tout porte à
croire, cela dit, que l'on va vers ce mode de scrutin. La grande question,
c'est quand ?
Propos
recueillis par Béatrice Jérôme
Article paru dans l'édition du 08.10.05