A
Asnières, "il faut cibler chaque groupe"
LE MONDE | 07.03.06 | 15h13
Rien de ce
qui est groupe organisé sur Asnières ne m'est étranger",
annonce fièrement Manuel Aeschlimann, maire (UMP) de la ville,
la troisième des Hauts-de-Seine, et député. Suit
un inventaire à la Prévert, où les gardiens d'immeubles
côtoient notamment les responsables des communautés religieuses,
les parents d'élèves et les amicales de locataires. Le
maire, qui a créé un "conseil des communautés",
dit avoir recensé "une cinquantaine de nationalités
et d'ethnies diverses" à Asnières.
"Conseiller pour l'opinion publique" de Nicolas Sarkozy,
M. Aeschlimann, qui enseigne la "stratégie électorale"
à Sciences Po, a une conviction : "Les électeurs
votent en fonction de leurs intérêts personnels et d'enjeux
catégoriels", explique le député, qui
évoque "l'échec du sacro-saint principe de l'intégration
républicaine". Suit une recette sans fioritures : "Il
faut segmenter tout ça et cibler chaque groupe."
Chaque
"groupe d'intérêt" un tant soit peu
homogène est traité distinctement. "Toutes les
demandes de tous les groupes sont traitées par le service concertation",
explique-t-il. Quatre personnes sont chargées de ce travail.
Les
critères plus classiques de l'âge et du sexe ont engendré
pas moins de cinq publications mensuelles, éditées par
la mairie et "envoyées nominativement" selon des "listes
de diffusion propres à chaque support" : au généraliste
Asnières infos s'ajoute Emploi du temps, pour les retraités,
et Citadine, pour les femmes ; les jeunes reçoivent Passe l'info.
Quant aux "petits Asniérois", ils peuvent
lire un éditorial de leur maire dans Martin malin et Martin junior.
Communautarisme
? M. Aeschlimann préfère l'expression de "société
multiculturelle". "Coller au plus près des
groupes ne m'empêche pas de mener une politique d'intérêt
général", précise-t-il.
Il
est pourtant des groupes qui ne l'entendent pas de cette oreille. "Le
maire assume ouvertement l'abandon du modèle républicain
au profit du communautarisme", déplorent à nouveau
les élus socialistes dans la dernière livraison d'Asnières
infos. Ce constat s'accompagne de réclamations plus précises
: en décembre 2005, des élus municipaux ont réclamé
des éclaircissements sur les "liens réels entretenus
par la mairie" avec les autorités iraniennes.
J.-B.
de M.
Article paru dans l'édition du 08.03.06
M.
Sarkozy : les communautés, c'est moi
LE MONDE | 07.03.06 | 15h13 • Mis à jour le 07.03.06 | 15h13
L'agenda du ministre de l'intérieur est aussi rempli que bariolé.
Le 17 février, Nicolas Sarkozy recevait à déjeuner,
place Beauvau, une vingtaine de représentants de l'"élite
beure". Le soir même, il participait à un dîner,
à Alfortville (Val-de-Marne), en présence de six cents
Français d'origine asiatique, réunis à l'occasion
du nouvel an chinois. Trois jours plus tard, il faisait une apparition
- remarquée - au dîner du Conseil représentatif
des institutions juives de France (CRIF). Autant de rendez-vous, parmi
d'autres, qu'il n'aurait manqués sous aucun prétexte.
La réunion d'Alfortville avait été préparée
par Abderrahmane Dahmane, président du Conseil des démocrates
musulmans de France et secrétaire national de l'UMP chargé
des relations avec les associations des Français issus de l'immigration.
Cette soirée fut productive pour le futur candidat à l'élection
présidentielle. Après avoir salué en ses hôtes
des gens qui "travaillent, respectent les lois et n'ont que pour
seul souci de s'intégrer", M. Sarkozy est reparti de l'Hôtel
Chinagora avec une sculpture représentant un lever de soleil
et une calligraphie géante portant l'inscription en chinois "Sarkozy,
en 2007". "Cette communauté, qui fut victime du communisme
et qui aime bien la fermeté, l'autorité, et la notion
de chef, est acquise à 90 % à Nicolas Sarkozy", assure
M. Dahmane.
Les liens
du président de l'UMP avec la communauté juive sont anciens.
M. Sarkozy rappelle volontiers que son grand-père maternel en
est issu. Noués à la mairie de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine),
ces liens se sont étroitement resserrés lors de son premier
passage au ministère de l'intérieur (et des cultes), où
M. Sarkozy a mené un combat très médiatisé
contre l'antisémitisme. Cet acquis lui a permis de se montrer
prudent au sujet du meurtre d'Ilan Halimi sans perdre le bénéfice
de sa popularité au sein de la communauté. Lors de la
manifestation parisienne du 26 février, des "Sarkozy président
!" furent lancés à plusieurs reprises à son
passage.
L'affaire
serait moins bien engagée avec la communauté d'origine
maghrébine. Selon M. Dahmane, la crise des banlieues, en novembre
2005, aurait effacé une partie du bénéfice électoral
obtenu sur la double peine, le droit de vote des étrangers et
la création du Conseil français du culte musulman (CFCM).
"En 2003, la communauté était acquise à 70
%. Elle est désormais stabilisée à 50-52 %",
affirme-t-il.
"Mon
plus gros souci, poursuit M. Dahmane, c'est la communauté noire.
Sarkozy doit être à 20 %. Et encore..." Les raisons
? Les expulsions de logements insalubres, en septembre 2005 ; et, encore,
la gestion des violences urbaines avec ces mots, "racaille"
et "Kärcher".
Le ministre-candidat,
en visite aux Antilles du 8 au 11 mars - il avait dû renoncer,
en décembre 2005, en raison de manifestations hostiles -, ne
ménage pas sa peine pour reconquérir le terrain perdu
auprès des uns, tout en cherchant à conserver celui qu'il
a gagné auprès des autres ; "une politique de jongleur,
d'équilibriste", concède M. Dahmane.
M. Sarkozy
a beaucoup misé sur les communautés. Son implication va
bien au-delà de l'approche clientéliste traditionnelle,
qui incite tout candidat à ménager les groupes constitués
à l'approche d'un scrutin. Là n'est pas son apanage. Si
le président de l'UMP se distingue, en la matière, de
ses rivaux, c'est parce qu'il a pris en compte l'emprise croissante
du fait communautaire dans la société française.
Et qu'il a choisi d'accompagner ce mouvement, plutôt que de le
freiner. "En vérité, et c'est bien là tout
le problème, la France est devenue multiculturelle, multiethnique,
multireligieuse... et on ne le lui a pas dit", écrivait
le ministre à l'automne 2004, dans son livre d'entretiens La
République, les religions, l'espérance (Cerf). "Nous
avons aujourd'hui moins à craindre de l'expression des différences
que de leur négation", ajoutait-il.
En prônant
la discrimination positive - jusqu'à souhaiter publiquement la
nomination d'un "préfet musulman" -, en se déclarant
favorable à une réforme de la loi de 1905, le président
de l'UMP a
dessiné
l'une des principales lignes de clivage qui l'opposent au camp chiraquien.
"C'est
une lutte des anciens et des modernes", estime la secrétaire
générale de l'UMP, Roselyne Bachelot. "La nostalgie
du creuset républicain n'est en aucun cas opérationnelle.
le phénomène communautaire est inévitable dans
une société globalisée", affirme-t-elle. Pour
le premier dîner annuel du Conseil représentatif des associations
noires de France (CRAN), qui s'est tenu le 27 janvier, elle avait enregistré
un message vidéo explicite : "Vous nous invitez à
passer de l'indifférence à la différence. En cela,
vous êtes source de richesse. Merci !" Le sociologue Michel
Wieviorka évoque l'émergence d'un "modèle
post-républicain". "Sarkozy est l'homme politique qui
a le mieux compris qu'on était entré dans une nouvelle
configuration. Et il s'y installe", souligne-t-il.
Ce positionnement
continue toutefois de susciter des interrogations, qui resurgissent
en cette période de tensions intercommunautaires. "Je ne
suis pas sûr de bien comprendre sa manière de voir les
différentes parties constitutives de la France", indique
ainsi le président du CRAN, Patrick Lozès, en évoquant
une possible "instrumentalisation" de ces questions. Au-delà
du débat de principe sur l'articulation de la République
avec les groupes qui la composent, le président de l'UMP aura
du mal à "tenir", jusqu'en 2007, les multiples bouts
d'une chaîne qui se tend.
Jean-Baptiste
de Montvalon
Article paru dans l'édition du 08.03.06