La question
du foulard islamique sera au centre des élections législatives
anticipées organisées dimanche en Turquie. Le régime
strictement laJique de ce pays à majorité musulmane
interdit aux femmes de porter le foulard dans des bâtiments
publics -les universités, par exemple- ou dans un cadre officiel.
Certains, dont le Parti de la justice et du développement (AKP)
au pouvoir, souhaitent revoir cette loi.
L’AKP, parti issu de la mouvance islamiste, devrait être
reconduit, même si les sondages le créditent d’une
majorité plus faible que celle dont il dispose actuellement.
Mais le sujet du foulard n’en reste pas moins source de très
profondes divisions.
Non seulement
le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan, qui s’appuie pourtant
sur deux tiers des sièges du Parlement, n’a pas osé
toucher à la loi depuis son arrivée au pouvoir, disant
attendre un "consensus institutionnel". Mais c’est
la question du foulard qui a précipité l’organisation
des législatives de dimanche.
Les mouvements
laJiques avaient effectivement vivement réagi lorsque l’AKP
avait nommé comme candidat à la présidentielle
le ministre des Affaires étrangères Abdullah Gul, dont
la femme porte le foulard en public. L’opposition a boycotté
l’élection du président au Parlement et des rassemblements
massifs ont eu lieu dans les plus grandes villes du pays en faveur
de la laJicité. Pouvait-on laisser entrer une femme portant
le foulard dans le palais qu’avait occupé Mustafa Kemal
Ataturk, père de l’Etat laJic moderne qui vint se substituer
à l’empire Ottoman au lendemain de la Première
guerre mondiale ? Les protestations ont finalement conduit M. Gul
à retirer sa candidature et le gouvernement à convoquer
des élections anticipées en juillet.
L’interdiction
du foulard se situe donc au centre de la vie publique turque, marquée
ces dernières années par la poussée de l’islam
politique.
En 1999,
Huda Kaya et ses deux filles avaient été poursuivies
en justice pour avoir "tenté de dissoudre la République
turque par la force" -un chef d’inculpation passible de
la peine capitale à l’époque. Leur crime ? Elles
avaient participé avec des milliers d’autres à
un rassemblement contre l’interdiction du port du foulard islamique
à l’université.
La société
turque a beaucoup changé depuis, mais les classes laJiques,
soutenues par l’armée, s’opposent toujours à
la levée de l’interdiction. "Nous croyons en notre
droit de célébrer notre religion et de vivre avec dignité",
souligne cependant Huda Kaya, veuve de 47 ans, qui a passé
sept mois en prison avec ses filles après leur condamnation
en 1999.
Le foulard
a été interdit dans les universités après
un coup d’Etat militaire en 1980. Et nombreux sont ceux qui
aimeraient que cela reste la règle : Cicek Isiksel, une étudiante
de 23 ans vêtue de jeans et d’un débardeur vert,
dit craindre l’influence croissante du mouvement islamiste.
"Je
ne veux pas voir des filles avec des foulards dans les universités.
Si un parti disait qu’il l’autoriserait, je ne voterais
pas pour (lui). C’est pourquoi je vote pour le CHP", le
Parti républicain du peuple (laJic), qui affirme que la Turquie
doit "gagner la bataille contre la mentalité médiévale".
Huda
Kaya ne perd pas espoir. "Les gens ont toujours trouvé
un moyen de vivre ensemble dans l’histoire", avance-t-elle.
"Je suis sûre que cette interdiction prendra fin un jour".
Presse Canadienne