24.11.2005
- La voix "très déviante" d'Alain Finkielkraut
au quotidien "Haaretz"
La voix "très déviante" d'Alain Finkielkraut
au quotidien "Haaretz"
LE MONDE | 23.11.05 | 14h46 • Mis à jour le 23.11.05 |
14h46
On voudrait
réduire les émeutes des banlieues à leur dimension
sociale, y voir une révolte de jeunes contre la discrimination
et le chômage. Le problème est que la plupart sont noirs
ou arabes, avec une identité musulmane. En France, il y a d'autres
émigrants en situation difficile. Ils ne participent pas aux
émeutes. Il est clair que nous avons affaire à une révolte
à caractère ethnico-religieux." Tel est le point
de vue du philosophe Alain Finkielkraut, qu'il développe dans
une longue interview au quotidien israélien Haaretz du 18 novembre.
Le journal le présente comme "une voix très déviante,
d'abord parce que ces propos ne sortent pas de la bouche de Jean-Marie
Le Pen". La crise des cités est-elle une réaction
au racisme dont sont victimes les Arabes et les Noirs ?, lui demande
le quotidien. "Je ne le pense pas, répond le philosophe.
(...) On nous dit que l'équipe de France est admirée parce
qu'elle est black-blanc-beur. (...) En fait, aujourd'hui, elle est black-black-black,
ce qui fait ricaner toute l'Europe." Voir dans les émeutes
"une réponse au racisme français, c'est être
aveugle à une haine plus large : celle de l'Occident" qui
anime, selon lui, les jeunes banlieusards.
"On
a peur du langage de vérité. Pour des raisons nobles,
on préfère dire "jeunes" que "noirs"
ou "arabes", dit-il. "Je n'ai pas parlé d'intifada
des banlieues. J'ai pourtant découvert qu'eux aussi envoient
en première ligne les plus jeunes. Vous, en Israël, connaissez
cela : on envoie les jeunes devant parce qu'on ne peut pas les mettre
en prison.(...) Il s'agit d'un pogrom antirépublicain : il y
a en France des gens qui haïssent la République."
Pour quelle
raison ? "Eux et ceux qui les justifient disent que cela provient
de la fracture coloniale", répond M. Finkielkraut. "Le
principal porte-parole de cette théologie, c'est Dieudonné,
qui est le vrai patron de l'antisémitisme, et non le Front national.
Mais au lieu de combattre son discours, on fait précisément
ce qu'il demande : on change l'enseignement de l'histoire coloniale
et de l'esclavage. Désormais, on enseigne qu'ils furent uniquement
négatifs, et non que le projet colonial entendait éduquer
et amener la culture aux sauvages." Rappelant que son père
fut déporté de France à Auschwitz, il ajoute :
" Qu'a fait ce pays aux Africains ? Que du bien. A mon père,
il a fait subir cinq ans d'enfer. Pourtant, je n'ai jamais été
éduqué dans la haine. Or celle des Noirs (contre la France)
est pire encore que celle des Arabes."
Les journalistes
notent que beaucoup d'enfants d'immigrés ne se sentent pas respectés
comme français. Réponse : "Ils disent : "Je
ne suis pas français, je vis en France et en plus ma situation
économique est difficile." Mais personne ne les retient
ici de force." Quant aux motivations des jeunes des cités,
elles n'ont aucun lien avec l'emploi, selon lui. Que veulent-ils ? "C'est
simple : l'argent, les marques et, parfois, les filles." Certes,
reconnaît-il, "il existe des Français racistes, qui
n'aiment pas les Arabes et les Noirs". "Ils les aimeront encore
moins en prenant conscience de combien ceux-ci les haïssent (...)
Imaginons que vous gérez un restaurant. Un jeune vous demande
un emploi. Il a l'accent des banlieues. C'est simple : vous ne l'engagerez
pas, c'est impossible." Voilà, se désole-t-il, "des
propos de bon sens", mais, dans la France actuelle, "on leur
préfère le mythe du "racisme français"".
Et de conclure : "L'antiracisme sera au XXIe siècle ce que
fut le communisme au XXe."
Sylvain
Cypel
Article paru dans l'édition du 24.11.05