Marie-Christine
Tabet.
Publié le 11 octobre 2006
Actualisé le 11 octobre 2006 : 08h46
LE FIGARO
Des
dizaines de personnes, absentes des listes, veulent bénéficier
de l'opération d'hébergement des ex-squatteurs.
TOUTE la journée, les derniers occupants du gymnase Belle-Image
de Cachan (Val-de-Marne) sont allés de Pierre Henri, le patron
de France Terre d'Asile (FTA), à Dominique Sopo, celui de SOS-Racisme,
interpellant au passage Jean-Yves Le Bouillonnec, le maire PS de la
ville, pour s'assurer qu'ils sont bien sur les listes. L'esprit échauffé
par une nuit de palabres et de rumeurs, ils redoutent d'avoir été
«oubliés». La veille, 269 personnes ont déjà
été évacuées. Officiellement, il reste
101 personnes à héberger. Mais, hier à 19 heures,
seuls une quartaine de squatteurs attendaient encore, agglutinés
autour du gymnase dans l'espoir de monter dans un bus et de décrocher
un hébergement et, surtout, des papiers.
La confusion règne depuis le matin. Dès que les permanents
de FTA arrivent pour appeler les six premiers noms – des célibataires
uniquement – et remplir une fourgonnette en partance pour un
hôtel social parisien, des femmes, leurs enfants accrochés
dans le dos, se mettent à arpenter la cinquantaine de mètres
qui séparaient l'entrée de la salle de sport et le point
de départ des bus. Leurs bagages – des grands sacs en
plastiques et des faitouts attachés par des cordes –
encombrent le trottoir.
Pour
ajouter à l'effervescence, un groupe d'hommes, des anciens
délégués, enjoignent les ex-squatteurs à
refuser de partir. «Dans les hôtels, on ne vous laissera
pas faire la cuisine», lâche l'un deux. Mais cette tentative
d'agitation tourne court. Fatigués par 45 jours passés
dans le gymnase à vivre sur des matelas de fortune, les occupants
veulent tous faire partie du voyage. «Ils pensent qu'être
sur la liste, c'est l'assurance d'être régularisé»,
soupire un salarié de FTA.
L'amertume des Maghrébins
En moins
d'une heure, la savante organisation mise en place par la mairie et
France Terre d'Asile est réduite à néant. Les
barrières ne filtrent plus personne. À chaque départ,
il faut rassurer sur la destination et la proximité d'un bus
ou d'un RER. «On travaille tous, raconte M'Bara, même
si on n'a pas de papiers.»
L'amertume
est grande chez les Maghrébins. Un peu à l'écart,
un petit groupe d'Algériens observe la file des départs
sans oser s'approcher de trop près. «On vivait tous dans
le squat de Cachan, explique Djamel, qui précise qu'il avait
une chambre au deuxième étage du Bâtiment F, mais
on n'a jamais dormi dans le gymnase. Alors les Noirs ne nous ont pas
mis sur les listes.» Ce Kabyle d'une quarantaine d'années,
aux yeux fatigués, est amer. «On ne pouvait pas rester
la nuit à Belle-Image, soupire-t-il, car il y avait trop de
bruits avec les enfants, les couples, les bagarres... On a préféré
les laisser entre eux.»
Djamel
raconte que les délégués, des Maliens et des
Ivoiriens, lui avaient promis que les Maghrébins «ne
seraient pas oubliés». Il a le sentiment de s'être
fait avoir. Pas question d'aller se plaindre. «On n'a pas de
papier, raconte-t-il, Qui va nous défendre ? Si on vient demander
des comptes, la police va nous envoyer en centre de rétention»,
conclut, Djamel en regardant partir les bus de la mairie.
Rachid,
un autre Algérien, se souvient que, lorsqu'il est arrivé
dans le squat de Cachan en 2002, il n'y avait que des Maghrébins
et des étudiants africains. «Après les Ivoiriens
ont «racheté» des chambres, se souvient-il, et
puis ils sont devenus majoritaires.» Selon lui, la chambre se
négociait entre 200 et 800 euros. À partir de 2004,
à cause du premier recensement de la préfecture, les
places sont devenues rares et les chambres très chères.
«Les Africains réservaient avant d'arriver en France,
raconte Rachid, mais on vivait bien avec eux, on payait la cotisation
de 7 euros par mois au délégué d'étage.
Maintenant qu'il y a un gâteau à se partager, ils nous
lâchent et placent leurs copains.»
En fin
de journée, France Terre d'asile avait réussi à
trouver 394 places (plus que les 370 annoncées la veille pour
satisfaire la première liste fournie par les délégués).
Il a fallu convaincre les hôteliers qu'ils seraient payés.
Le ministère des Affaires sociales a débloqué
les fonds : chaque soir, c'est une facture d'au moins 9 000 euros
que l'État devra acquitter.