DISCRIMINATION
DITE "POSITIVE" ET DELINQUANCE SEXUELLE /
FERMETURE DU GADGET PUBLICITAIRE DE NICOLAS SARKOZY A ASNIERES
Société
Une pierre dans l'internat vitrine de Sarkozy à Nanterre
Un «jeu» entre collégiens tourne mal dans cette structure
pour élèves en difficulté sociale ouverte au débotté
en septembre et qui fermera en juin.
par Marie-Joëlle GROS
LIBERATION - lundi 20 février 2006
La Gazette des collégiens des Hauts-de-Seine, publication du
conseil général, se fait l'écho ces jours-ci «d'un
internat pas comme les autres». Celui du collège François-Truffaut,
à Asnières. En photo, sept garçons de cinquième,
accueillis là grâce au conseil général. C'est
le premier «internat pour la réussite», ouvert en
septembre à l'initiative du président du département,
Nicolas Sarkozy. Sa vocation : offrir aux élèves les plus
méritants, «mais perturbés par des difficultés
rencontrées à la maison», la possibilité
de réussir leur scolarité. C'est un fleuron du projet
de loi sur la délinquance, défendu par le même Sarkozy
et qui sera bientôt présenté en Conseil des ministres.
Ce que la gazette ne dit pas, c'est que l'internat va fermer ses portes
à la fin de l'année, après tout juste une année
d'existence. Pour le conseil général, cet internat n'a
jamais été autre chose qu'un ballon d'essai d'une année
scolaire avant l'ouverture d'autres internats dans le futur.
Blagues et gages. S'il n'a officiellement aucun lien avec cette décision
de fermeture, un incident grave est survenu à l'internat François-Truffaut
le 4 janvier. Ce mercredi, l'assistant d'éducation chargé
d'encadrer les pensionnaires reçoit les parents de l'un d'eux
au rez-de-chaussée. A l'étage, les adolescents s'enferment
à clé dans une chambre. Ils se racontent des blagues,
et celui qui relate l'histoire la plus nulle reçoit un gage.
D'après le conseil général, il y a dans la chambre
deux meneurs, deux suivistes et un souffre-douleur. Qui prend des claques
et se voit planter un stylo à bille dans les fesses en guise
de gage, tandis que les autres prennent des photos avec un téléphone
portable. Le principal du collège a fait un signalement au procureur.
Celui-ci a confié l'enquête à la brigade des mineurs
et attend les rapports d'expertises. Il n'exclut pas l'option pénale,
en plus de mesures éducatives. Pour le procureur, il s'agit d'une
agression à caractère sexuel, impliquant une «notion
de bizutage». Le conseil général évoque,
lui, «un jeu imbécile et des gages scabreux». Pour
les parents des internes, «le choc a été terrible»,
raconte une enseignante du collège. «Si leurs enfants étaient
restés chez eux, ils auraient peut-être rencontré
des difficultés pour se concentrer sur leurs devoirs, mais n'auraient
certainement pas vécu ça !» L'affaire a fait peu
de bruit. Les deux meneurs ont été exclus et renvoyés
dans leur collège d'origine. Les suivistes ont écopé
d'une exclusion de huit jours. Mais les enseignants de François-Truffaut
ne décolèrent pas.
Pour eux, la précipitation du président du conseil général
est en cause. En juin, ils prennent connaissance du projet d'internat.
Pendant l'été, Nicolas Sarkozy débloque 40 000
euros au conseil général, «réquisitionne
un bâtiment» et inaugure son tout premier «internat
pour la réussite» en septembre. «Nicolas Sarkozy
voulait aller plus vite que Jean-Louis Borloo, qui avait lui aussi des
projets d'internat, raconte un syndicaliste de l'établissement.
Il lui fallait monter très vite une opération médiatique.
A la rentrée, il y avait des caméras tous les jours au
collège. Les internes se croyaient à la Star Ac, se souvient
le syndicaliste. Sarkozy a joué à l'apprenti sorcier.
Il exploite les difficultés sociales des gens pour faire sa pub.
Seule l'annonce compte, le suivi n'existe pas.»
Pluie de projets. Chargée des affaires scolaires au conseil
général des Hauts-de-Seine, Isabelle Balkany, reconnaît
qu'aucun bilan ne sera tiré de l'internat François-Truffaut
: «Un échantillon de huit élèves, c'est trop
restreint.» Ce qui compte à ses yeux, ce sont les projets
à venir. Le conseil général annonce une pluie d'internats
dans le département «d'ici à 2010», à
Asnières, La Garenne-Colombes, Bourg-la-Reine, Boulogne et Nanterre.
A Asnières, les travaux de construction d'un internat sont déjà
en cours au collège Auguste-Renoir. Des enseignants s'en inquiètent.
Le conseil général, propriétaire des murs, a fait
évacuer le bâtiment A du collège Renoir et fait
transférer six salles de classe dans des préfabriqués.
Les travaux vont bon train. Ce deuxième internat pour la réussite
doit être prêt pour la rentrée 2006. «Quid
des statuts de cet internat, des critères de recrutement des
internes, de son financement, des conventions signées entre l'Education
nationale et le conseil général, des fondements idéologiques
et pédagogiques d'une telle entreprise ?» interrogent des
profs.
«Elèves méritants». Au cabinet du recteur,
on semble apprécier le dynamisme du président du conseil
général. L'évaluation du dispositif et le suivi
ne sont pas encore à l'ordre du jour. Les chefs d'établissement
du département sont censés signaler à l'inspection
académique les «élèves méritants»
à orienter vers l'«internat pour la réussite»
du collège Auguste-Renoir. Il comptera 32 places pour filles
et garçons, un assistant d'éducation pour huit internes,
une chambre pour deux avec salle de bain, une pièce commune avec
télé et kitchenette, et des ordinateurs .
«C'est l'internat que j'aurais aimé connaître»,
s'enflamme Isabelle Balkany. Conseiller municipal PS à la mairie
d'Asnières et conseiller régional, Sébastien Pietrasanta
dénonce, lui, des internats qui «portent mal leur nom».
Pour lui, Sarkozy «impose des projets clés en main à
des communautés éducatives qui n'y sont jamais associées.
Ces internats demandent un encadrement et un suivi spécifiques
des élèves. Mais, pour Sarkozy, c'est accessoire».