Editorial
du dernier numéro de Terre & Peuple : Communautarismes
Monday 10 April 2006
Par Pierre Vial
Certains refusent l’évidence et nient le caractère
ethnique des émeutes urbaines de l’automne 2005.
Aveuglement volontaire dont les motivations sont pour le moins
ambiguës. D’autres, comme Finkielkraut, ont changé
leur fusil d’épaule, devant les faits, et rallié
la défense de leur communauté (Finkielkraut a redécouvert
qu’être juif implique des solidarités). Car
les communautés et les communautarismes sont une réalité
incontournable – il faut s’appeler Daniel Lindenberg
(auteur de Rappel à l’ordre) et être, comme
lui et beaucoup d’autres, muré dans une idéologie
ringarde pour le nier, obstinément et stupidement.
“Ilan
Halimi : une mobilisation communautaire”. Par ce titre de
première page, Le Monde (28 février) résumait
la manifestation organisée à Paris le 26 février
pour dénoncer le meurtre d’Ilan Halimi, jeune Juif
enlevé et assassiné par une bande de voyous dirigée
par un Franco-Ivoirien ( c’est le terme pour désigner
un individu qui est Ivoirien par le droit du sang, “Français”
par le droit du sol, en vigueur dans notre République si
accueillante à “toute la misère du monde”,
comme a dit un jour Michel Rocard). Les organisateurs de la manifestation
avaient déclaré vouloir une démonstration
multiculturelle. “Cependant”, précise Le Monde,
“le cortège a rassemblé essentiellement des
membres de la communauté juive, comme l’a reconnu
Roger Cukierman, président du CRIF (Conseil représentatif
des institutions juives de France)”. Et un symbole très
parlant confirmait cela : “De temps à autre un grand
drapeau israélien était brandi au-dessus de la foule,
soulevant des acclamations”.
Faut-il
s’en étonner ? Une bonne partie de la communauté
juive a voulu polariser l’indignation de l’opinion
sur le fait que la victime était issue de ses rangs (de
mauvais esprits ont fait remarquer que le meurtre d’un autre
homme, travaillant chez PSA, enlevé lui aussi pour de l’argent,
n’avait pas suscité pareille indignation. Il est
vrai que l’intéressé était Breton).
En
fait, cette affaire révèle que la référence
communautariste prend une place croissante au sein de la société
française et s’affirme, aussi bien que chez les Juifs,
chez les Maghrébins et les Blacks (y compris bien entendu
les Antillais, Guyanais et autres populations d’origine
africaine).
Décrié
par certains, de l’extrême-gauche à l’extrême-droite,
au nom d’une “intégration républicaine”
ou d’une “unité nationale” évidemment
factices, le communautarisme est désormais une réalité
qu’il faut prendre en compte, que cela plaise ou non. D’autant
que cela peut faire un beau tremplin électoral… Un
qui l’a bien compris, c’est Sarkozy, puisqu’il
“a pris en compte l’emprise croissante du fait communautaire
dans la société française” (Le Monde,
8 mars 2006). Il multiplie les gestes de reconnaissance en légitimité
à l’égard des divers communautarismes, même
s’il a semblé ces derniers temps privilégier
la communauté juive (dont, il le rappelle volontiers, son
grand-père maternel est issu). Mais, s’il a fait
une intervention remarquée au dîner du CRIF, où
tout le gratin politicien était présent, le 20 février,
trois jours auparavant il avait convié à déjeuner,
place Beauvau, une vingtaine de Beurs jugés exemplaires
par leur réussite économique mais invités
es-qualité, en raison de leur appartenance communautaire.
Dans son état-major de l’UMP – qui est, déjà,
un état-major de campagne présidentielle –Sarkozy
a confié à Abderrahmane Dahmane, président
du Conseil des démocrates musulmans de France (un bidule
bidon, fait sur mesure), le secrétariat national de l’UMP
chargé des relations avec les associations des Français
issus de l’immigration. Ce connaisseur explique que Sarkozy
doit, pour se mettre bien avec les divers communautarismes, se
livrer à “une politique de jongleur, d’équilibriste”.
Exercice délicat. Mais Sarkozy, qui a souhaité publiquement
la nomination de préfets musulmans, annonçait la
couleur – si j’ose dire – dès 2004 dans
son livre La République, les religions, l’espérance
(Cerf) : “En vérité, et c’est bien là
tout le problème, la France est devenue multiculturelle,
multiethnique, multireligieuse… et on ne le lui a pas dit”.
Il
est appuyé, dans cette analyse, par l’inénarrable
Roselyne Bachelot, bombardée secrétaire générale
de l’UMP : “La nostalgie du creuset républicain
n’est en aucun cas opérationnelle, le phénomène
communautaire est inévitable dans une société
globalisée”. Même son de cloche avec Manuel
Aeschlimann, “conseiller pour l’opinion publique”
auprès de Sarkozy et qui, en tant que député-maire
d’Asnières, la troisième ville des Hauts-de-Seine,
a créé un “Conseil des communautés”
car, explique-t-il, il a recensé “une cinquantaine
de nationalités et d’ethnies diverses” dans
sa bonne ville.
C’est
ce qu’en termes d’intello le sociologue Michel Wieviorka
appelle l’émergence d’un “modèle
post-républicain”. Il constate : “Sarkozy est
l’homme politique qui a le mieux compris qu’on était
entré dans une nouvelle configuration. Et il s’y
installe”.
Sarkozy
veut donc surfer sur une “période de tensions intercommunautaires”
– tensions que reconnaît, pour s’en lamenter,
Jean-Baptiste de Montvalon dans Le Monde. Mais, ajoute-t-il, “le
président de l’UMP aura du mal à « tenir
», jusqu’en 2007, les multiples bouts d’une
chaîne qui se tend”. Ainsi, Patrick Rozes, président
du CRAN (Conseil représentatif des organisations noires)
déclarant craindre une “instrumentalisation”
du communautarisme, ne fait que revendiquer, pour lui et les siens,
une part convenable du gâteau. Car le communautarisme, il
connaît…
D’ailleurs,
il pourrait bien y avoir un candidat noir à la présidentielle
de 2007. Dieudonné, Christiane Taubira sont sur les rangs.
Et pourquoi pas un candidat beur ? Quant aux législatives,
les divers partis vont devoir colorer leurs investitures…
Sachant que l’heure de vérité ce sera les
municipales, l’hypothèse de villes prises par des
listes d’immigrés n’étant pas du tout
impensable, pour des raisons démographiques.
Et
les Gaulois, dans tout cela ? Nous les avons souvent appelés
à prendre conscience de la réalité communautariste,
à l’assumer et même à la revendiquer
pour eux-mêmes. Serons-nous entendus ? Question cruciale
car elle conditionne la survie de notre identité.
Je
me suis toujours refusé à me bercer d’illusions.
La vérité, c’est que la masse des Gaulois
est anesthésiée et, troupeau guidé par la
mangeoire, n’a pas envie de se bouger. C’est trop
fatigant. Trop risqué.
Mais
peu importe la masse. Comme toujours depuis le début de
l’Histoire, tout dépendra d’une minorité.
Si cette minorité existe, faite de femmes et d’hommes
n’acceptant pas la soumission, décidés à
résister, à se battre, tout est possible. C’est
la petite lumière dans la nuit. C’est notre raison
d’être. Haut les cœurs !