Le diagnostic de M. Camdessus : "L'économie française décroche"

LE MONDE | 19.10.04 | 13h51


Dans un rapport remis à Nicolas Sarkozy, mardi 19 octobre, l'ex-directeur général du Fonds monétaire international juge que le "déficit de travail" freine la croissance. Appelant à un "sursaut" urgent, il prône un assouplissement des règles sociales et un effort massif en faveur de la recherche.
Est-ce un énième rapport sur le déclin français, le point d'appui d'un sursaut rapide, le livre de chevet du futur président de l'UMP, Nicolas Sarkozy ? On ignore l'avenir promis au rapport que Michel Camdessus a remis, mardi 19 octobre, au ministre des finances, mais Le Sursaut, vers une nouvelle croissance pour la France (La Documentation française) adopte un ton alarmiste. L'ancien directeur général du Fonds monétaire international (FMI) prévient, chiffres à l'appui, que "l'économie française est en train de décrocher" et appelle à un "sursaut" urgent - sans attendre l'élection présidentielle de 2007.

Au cours des dix dernières années, le produit intérieur brut global de la France a progressé moins vite que celui des Etats-Unis (de 1,5 point), un retard qui s'accumule aussi vis-à-vis de la Finlande, du Royaume-Uni, de la Suède, du Canada ou du Danemark. Le chômage n'a pas reculé, le système de protection sociale accuse des déficits à répétition et le taux de pauvreté, après transferts sociaux, "se rapproche davantage de celui du Royaume-Uni que de celui des pays nordiques", pointe le rapport.

Les perspectives ne sont pas meilleures. La croissance potentielle de l'économie française, qui est de 2,25 %, risque de tomber à 1,5 %-1,75 % lorsqu'elle devra porter le poids du vieillissement de la population. A ce rythme, souligne M. Camdessus, "le pays entre dans une spirale infernale : l'endettement augmente, le poids des intérêts de la dette diminue la marge d'action de l'Etat, qui sera en outre alourdie par le poids des retraites et des dépenses de santé". Il n'y a donc point de salut : "le système craquera", conclut-il.

Ce "sursaut", assure-t-il, la France doit le faire pour les jeunes. "Le traitement que nous - leur - réservons est un véritable symbole de nos dysfonctionnements, lit-on dans le rapport. A travers l'augmentation de la dette, ce sont eux qui paieront, en fait, les déficits des services publics que nous utilisons aujourd'hui."

Ce sont également eux qui, demain, "en violation flagrante d'un des principes du développement durable, supporteront directement la charge de la réduction de la vie active que nous nous sommes octroyée". Enfin, c'est sur eux que se concentrent "l'insécurité et la précarité (taux de chômage, CDD)". Les jeunes sont "les grandes victimes de l'absence d'adaptation de notre modèle social". Pour en sortir, l'ancien gouverneur de la Banque de France voit deux passages obligés : "Agiliser l'Etat" et "en finir avec l'idée que le travail se partage".

Le rapport dénonce l'inefficacité de la sphère publique : "par rapport à 1984, en vingt ans, les marges de manœuvre de l'Etat - c'est-à-dire les dépenses autres que la charge de la dette et les dépenses de personne - se restreignent comme peau de chagrin ; elles ont diminué de 25 %".

"MULTIPLIER LE TRAVAIL"

Pourtant le niveau de dépenses publiques n'a cessé de croître "qu'épisodiquement" pour atteindre 54,7 % de la richesse nationale. "Il y a deux chiffres à retenir, estime donc M. Camdessus : On peut réduire le chômage sous les 5 % d'ici à 2010. Il faut pour cela baisser d'un point de PIB par an la dépense publique pour arriver à 49 % dans cinq ans, c'est-à-dire juste à la moyenne de la zone euro."

Pour cela, M. Camdessus plaide pour un gouvernement resserré, "un Quinze de France" dans lequel le ministre chargé de la réforme de l'Etat aurait un rôle central. Il défend ensuite une décrue progressive des effectifs. L'Etat ne doit pas recruter plus de 40 000 personnes par an pendant les dix ans qui viennent même si les départs en retraite oscillent entre 71 000 et 81 000 par an. Cela correspond à l'objectif de non remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite que s'est fixé Jean-Pierre Raffarin, mais que pour l'instant l'Etat n'arrive pas à tenir.

Côté emploi, le rapport stigmatise le faible taux d'emploi des jeunes et des seniors, le niveau de chômage et la durée hebdomadaire du travail, qui aboutissent au fait que "si un salarié français produit 5 % de plus par heure travaillée qu'un américain, il produira 13 % de moins par an et 36 % de moins sur l'ensemble de sa vie active". "La quasi totalité de l'écart de croissance qui nous sépare, depuis dix ans, de nos principaux partenaires, s'explique par la moindre quantité de travail que nous sommes capables de mobiliser collectivement chaque année", poursuit le rapport.

"Pouvons-nous changer et multiplier le travail au lieu de le diviser ?", interrogent ses auteurs. Pour eux, c'est possible, à condition de réformer en profondeur le fonctionnement du marché du travail et des licenciements. Ils esquissent une proposition : fusionner le contrat de travail à durée indéterminée et celui à durée déterminée en un contrat unique "dans lequel les droits relatifs à la protection de l'emploi et à l'indemnisation se renforceraient progressivement".

Ils proposent aussi de rendre les coûts de licenciements plus prévisibles pour les entreprises, quitte à "taxer" plus celles qui licencient par un système de bonus malus sur les cotisations sociales. En résumé, on protège moins les emplois, mais on protège mieux les personnes en renforçant l'assurance-chômage, le service public de l'emploi, le droit à la formation.

Ce diagnostic n'apporte rien de très nouveau par rapport à la cohorte de livres (Etat d'urgence de Roger Fauroux et Bernard Spitz), de rapports du Conseil d'analyse économique ou de documents commandés par le gouvernement (rapport de Virville sur la modernisation du droit du travail ou Marimbert sur le service public de l'emploi). Le rapport Camdessus ne donne pas non plus de "méthode miracle" pour réussir la transformation qu'il préconise et que le gouvernement essaie déjà, avec difficultés, de faire accepter aux organisations syndicales. L'auteur reconnaît que "le gouvernement a déjà lancé beaucoup de réformes", mais qu'"il ne donne pas la perspective d'ensemble". C'est elle qui, selon lui, permettrait de débloquer les choses.

A Matignon, on constate que les propositions du rapport sont progressivement mises en œuvre depuis deux ans et demi. En revanche, le PS le juge sévèrement. "Ce rapport sur commande reprend les orientations de M. Sarkozy et tient un discours caricatural sur le fait que les Français ne travaillent pas assez, alors que l'on a besoin d'un diagnostic sur la compétitivité et sur la stratégie industrielle", commente Eric Besson, secrétaire national chargé des questions économiques.

Sophie Fay


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Vingt personnalités de divers horizons


Michel Camdessus, 71 ans, ancien directeur général du Fonds monétaire international et gouverneur honoraire de la Banque de France, a animé un groupe de travail de vingt personnalités d'horizons divers, qu'il a lui-même choisies : patrons de grands groupes (AXA, Lafarge, SNCF), de banques d'affaires (JPMorgan et Cie, Lazard) ou de PME ; syndicalistes (un ancien président de la CFTC et l'ex-secrétaire général de la fédération CGT du textile) ; universitaires (le directeur de Sciences-Po Paris et la présidente de l'université de Caen) et économistes (CDC Ixix, MIT). Le président d'Emmaüs France, le patron du Génopole et celui de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris y figurent aussi.

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 20.10.04