La censure plane sur les nus et les crucifix
Lundi 5 mars 2007


La pétition contre le côté commercial du projet est inaccessible depuis les Emirats.
Par Vincent NOCE
QUOTIDIEN : lundi 5 mars 2007

Présage funeste pour le Louvre à Abou Dhabi ? Le site Latribunedelart.com, sur lequel est inscrite la pétition hostile au projet, est censuré par les Emirats. Didier Rykner, responsable de la tribune, l'affirme. Libération en a obtenu confirmation par trois personnes qui se trouvaient dans le royaume à des périodes différentes ces dernières semaines. La première a vu une page «fermée pour raisons de sécurité». La dernière n'a tout simplement rien pu obtenir. La Tribune de l'art précise avoir demandé «des explications» au ministre de la Culture. La pétition a recueilli, dans les milieux culturels, la signature de quelque 4 600 personnes dénonçant le caractère commercial du projet.

La question de la censure, celle pouvant peser sur les expositions sous l'enseigne «Louvre», a jusqu'ici été minimisée. Au ministère de la Culture, on souligne que ce «régime est l'un des rares acceptables du Moyen-Orient». «Qu'un pays arabe demande à se confronter à la culture occidentale est une chance à saisir», plaide un conservateur. Mais le souhaite-t-il, et jusqu'à quel point ? «Dans les négociations, les Emirats n'ont jamais demandé la moindre censure sur les oeuvres d'art», indique le gouvernement. Mais la France a précédé le mouvement, en faisant valoir qu'elle se tiendrait à une réserve de bon aloi, qui exclurait par exemple les crucifixions. La lecture du gothique rhénan, de la Renaissance italienne ou de la peinture française du XVIIe, risque d'être un peu difficile...

En réalité, le gouvernement est le premier à reconnaître l'existence de la «censure» frappant les «journaux et les cassettes» aux Emirats, si l'on se réfère aux «conseils aux voyageurs» sur le site de l'ambassade de France (1). Certes, Abou Dhabi reste un havre où le voyageur peut boire de l'alcool, jouer à la roulette et se lier à d'avenantes «touristes» russes, qui ne sont pas astreintes au port du voile.

Néanmoins, rappelle l'ambassade, «même si elle est appliquée de manière moins rigoureuse qu'en Arabie Saoudite, la charia [loi islamique, ndlr] demeure la référence de base du droit civil et pénal». Sur la plage, entre la partie de golf et la (future) visite au Louvre, «il est formellement déconseillé de se mettre en bikini». Les atteintes aux bonnes moeurs, qui commencent par le geste déplacé, sont «très sévèrement réprimées» . Les conservateurs devraient éviter de venir avec leur fiancé(e) : «Les relations sexuelles hors mariage sont interdites. L'homosexualité est un délit.» Au détour d'un paragraphe, on apprend aussi que toute image «représentant des personnes nues est prohibée» . Les Académies de l'atelier de David attendront... Heureusement, Monet a peint des nénuphars.

(1) www.ambafrance-eau.org