LES CORBEAUX D'ASNIERES


Les corbeaux d’Asnières


Noms d’oiseaux et dénonciations en série, le débat municipal vole bas. Mairie, oppositions de droite et de gauche s’affrontent à coups de rumeurs et de procès.

Etrange alliance. Ils sont quatorze ce jour-là, réunis autour de la même table. Associations indépendantes, élus de droite, de l’UDF, conseillers municipaux de gauche, anciens adjoints limogés. Il y a même les représentants du… Caffard, le Comité asniérois formé face aux Agissements antirépublicains du député-maire ! Cette création est la dernière initiative du front anti-Aeschlimann, le député-maire UMP d’Asnières. Un bloc hyper actif, hargneux et étonnamment fédérateur. En rangs serrés, ils dénoncent « les pratiques antidémocratiques » de l’édile.

Depuis quelques années, la ville est le théâtre d’une véritable guérilla de commandos. Tracts diffamatoires et délateurs, sites internet, blogs, accusations, procès en cascade… Tous les moyens sont bons pour abattre la mairie d’un côté, user les opposants de l’autre. Au milieu, les habitants, abreuvés de courriers nauséabonds.

Avec 85 000 habitants – 100 000 au prochain recensement – Asnières est un enjeu de taille. Une cité star des Hauts-de-Seine, département le plus riche de France. Située à quelques minutes de la gare Saint-Lazare et reliée par la ligne 13 du métro, elle est de plus en plus prisée des jeunes couples parisiens avec enfants qui investissent son centre-ville et son quartier ouest, résidentiel. Loin, très loin des zones populaires du nord.

Elu au premier tour avec plus de 50% des voix aux dernières élections municipales (et plus de 63% au second tour des législatives de 2002), Manuel Aeschlimann, « Sa rkoboy » de 41 ans, règne sur une ville devenue à la fois tremplin politique (il a été nommé président de la commission de suivi de l’opinion publique à l’UMP) et laboratoire d’idées (vidéosurveillance…).

Bien qu’endettée à hauteur de 130 millions d’euros, la ville reste l’un des bastions les plus solides de la droite. Cinquante ans sans un élu socialiste. Imprenable ! La gauche rame. Martèle sans cesse que la majorité en place est incapable de faire face à cette déferlante de nouveaux arrivants – « Rien ne suit : crèches, écoles, installations sportives, parkings, tout fait défaut. »

Mais ce sont surtout les méthodes du maire qui fâchent. Principalement sa communication, véritable rouleau compresseur : pas moins de sept magazines municipaux, des réverbères utilisés comme supports des messages de l’hôtel de ville « alors que le préfet l’interdit » , un site internet, un blog et un marketing « communautariste dans les périodes électorales, s’insurge le PS. Il envoie des courriers ciblés selon l’origine, les racines ou la religion des électeurs ». Quant aux panneaux d’affichage, ils sont exclusivement squattés par la majorité : « Dès que nous collons nos affiches dans un espace réservé à l’expression d’opinion, un service municipal vient le retirer » , assure l’un des rédacteurs du site contestataire www.asnierois.org

Pire, selon l’opposition : le maire empêche la démocratie locale de s’exercer. Le conseil municipal n’est réuni qu’une fois par trimestre, le minimum légal. Et encore, les conseillers municipaux d’opposition ne reçoivent les dossiers que quelques heures avant. Impossible, dans ces conditions, de se préparer correctement. « Faux, répond Manuel Aeschlimann. Ils peuvent assister à toutes les commissions qui précèdent le conseil et les documents leur sont envoyés une semaine avant, voire plus. » Les séances du conseil virent régulièrement à la foire d’empoigne (lire encadré) .

L’opposition n’est pas la seule à dénoncer ces « procédés antidémocratiques » . Entre le maire et ses propres adjoints, le torchon brûle. Quatre d’entre eux ont même fini par être définitivement remerciés. A l’appui, un décompte précis de leurs fautes et manquements : nombre d’heures passées en mairie, nombre de fois où ils ont assisté aux commissions, absentéisme, projets réalisés… « Quand on ne travaille pas, on n’a pas sa place dans mon équipe » , résume l’édile. L’autre raison invoquée : « Il ne supporte pas la contestation et élimine tout ceux qui ne sont pas d’accord avec lui. » Le premier adjoint appartiendrait à une secte, le deuxième a remis en cause le projet de construction d’un parking, le troisième a critiqué le directeur général des services…

Chamailleries dignes d’une cours de récré ? Le climat plombe en tout cas le débat politique. Les deux camps s’écharpent à coups de tracts. Et prennent les habitants à témoin. Florilège, contre le maire : « En avant Asnières !!!… droit dans le mur ! avec Manuel Aeschliment. » Un autre : « Au cours d’une longue carrière politique et syndicale, j’ai rencontré des crapules, des pourris, mais comme vous jamais… Votre veulerie, votre trahison, l’abjection qui sue de votre fatuité… Vous êtes un être particulièrement méprisable et glauque, un sans parole et surtout un être sans honneur. » La classe ! Et la pile est épaisse : accusations de corruption, d’opérations douteuses…

De son côté la majorité n’est pas en reste. « Mais elle ne signe jamais elle-même, ce sont toujours des comités de quartiers bidons, des associations fantômes… » , indique cet ancien membre de l’équipe municipale. Comme « Jugez vous-même », ce brûlot diffusé à la veille des élections municipales de 2001, qui met en cause l’intégrité d’une ancienne adjointe, Josiane Fischer, débarquée à la dernière minute de la liste d’Aeschlimann : « Elle n’a pas cessé d’organiser des réunions secrètes et de s’opposer à la majorité municipale ; elle a été incapable de mener une politique du logement satisfaisante ; elle a touché de l’argent de promoteurs immobiliers. » Sept autres personnes étaient visées.

Le tract anonyme a échoué au tribunal. Dans cette affaire dite « du corbeau », la cour d’appel de Versailles vient de condamner huit membres du conseil municipal, mais a épargné M. le maire : « Il ne ressort pas de manière certaine que… Manuel Aeschlimann, qui a été le rédacteur et l’instigateur de nombreuses publications polémiques, voire diffamatoires, ait rédigé le présent tract compte tenu des divergences relevées dans les témoignages… »

Une véritable frénésie procédurière s’est emparée des deux camps. Plusieurs dizaines de plaintes en diffamation sont pendantes. Un petit jeu qui a fini par lasser le chef de file du PS. Il a rendu son mandat et quitté la ville. « Je passais mon temps à me justifier, raconte Dominique Riera. Le combat prenait des allures de lutte personnelle entre le maire et moi. Il fallait sortir de cette spirale pour redonner sa place à la politique. »

Peine perdue. Sur le Net, ça cartonne aussi. Editos, pamphlets, dénonciations… Trois sites contestataires se déchaînent depuis quelques mois. Et les tracts continuent de circuler. La mairie riposte avec son propre blog. Procès garantis.

Conseil municipal - Foire d’empoigne

Jeudi 15 décembre, 20 heures. Le maire Manuel Aeschlimann entame le bilan de son action de l’année 2005. Ses opposants, issus de sa propre couleur politique (anciens UMP et UDF), le coupent, se lèvent et hurlent au scandale : « Cette fois-ci, monsieur le maire, vous ne nous musèlerez pas ! » Le public, qui déborde jusque dans les couloirs, est tantôt effondré, tantôt amusé. Le maire, lui, ne hausse jamais la voix. Dans la ligne de mire ce jour-là, son directeur de cabinet, dont la démission est demandée. Depuis plusieurs semaines, des tracts le concernant circulent. Une cassette a même été envoyée anonymement aux médias, aux élus et aux conseillers généraux. D’origine iranienne, le « dircab » a donné une interview à une télévision d’Iran. Depuis, les rumeurs fusent : « Il se sent plus iranien que français », « Il est le bras armé d’une dictature islamiste » … Sa femme, interviewée elle aussi, aurait déclaré que les Iraniens sont plus virils que les Français ! Un débat hautement politique, qui parasite l’ordre du jour.

Louise Couvelaire
Le Nouvel Obs Paris Ile-de-France 5 au 11 janvier 2006