ISLAM.
Alors, combien de minarets ?
Alors que le ramadan commence ce matin, un nouvelle question agite la
communauté musulmane de France. Après le voile, les lieux
de culte. Un dossier qui est toujours au point mort.
Après
le voile, la question des lieux de culte est l'autre dossier qui attend
le Conseil français du culte musulman (CFCM) - paralysé
depuis que, à la mi-septembre, la Mosquée de Paris a annoncé
son intention de boycotter les élections prévues en avril
2005 pour renouveler l'instance représentative de l'islam de
France. Quel que soit le dénouement de la crise du CFCM, qui
a officiellement annoncé hier soir le début du ramadan,
le constat s'impose : les quatre à cinq millions de musulmans
de France, dont 20 % sont pratiquants, ne disposent pas d'un nombre
suffisant de mosquées, à savoir des lieux édifiés
pour la pratique de l'islam. Avec ou sans minaret puisque « la
présence de celui-ci n'est pas une obligation religieuse, même
si c'est un plus », précise Haydar Demiryurek, secrétaire
général du CFCM.
Des locaux désaffectés
Sur les 1 545 lieux de culte musulman recensés par Driss Anouali,
auteur d'un annuaire des mosquées de France, on dénombre
une quinzaine de véritables mosquées dont certaines susceptibles
d'accueillir un millier de fidèles. Des institutions comme les
grandes mosquées de Paris, Mantes-la-Jolie (Yvelines), Evry (Essonne)...
ne doivent pas faire illusion : la grande majorité des lieux
de prière musulmans sont installés dans des locaux désaffectés.
En Seine-et-Marne, une trentaine de lieux de culte sont recensés,
parmi lesquels figure un simple appartement ! Depuis les années
1970, des foyers de travailleurs ont aussi mis à disposition
de leurs résidants une salle de prière. « Le gros
problème aujourd'hui, c'est de construire des mosquées
dignes de ce nom pour en finir avec les lieux de culte insalubres »,
explique Haydar Demiryurek. Tout en diagnostiquant « un léger
mieux », notamment la pose symbolique de la première pierre
de deux mosquées lundi dernier à Saint-Etienne (Loire)
et à Asnières (Hauts-de-Seine), le secrétaire général
du CFCM déplore que « trop de chantiers soient bloqués
par les maires ». Au-delà des divisions des associations
musulmanes, des réticences des élus locaux invoquant l'hostilité
de leurs électeurs ou encore de la difficulté à
trouver un imam formé, le principal obstacle à la construction
de mosquées réside dans le financement. « Les musulmans
se sentent orphelins. D'un côté, l'islam fait l'objet d'une
reconnaissance officielle avec le CFCM ; de l'autre, le robinet de financement
des mosquées est coupé depuis le 11 septembre. La communauté
musulmane n'est pas riche. Or, la loi ne permet pas de subventionner
les lieux de culte. Pour éviter tout risque de radicalisation,
nous demandons à l'Etat de continuer à nous autoriser
à recevoir des dons de l'étranger sous contrôle
du ministère des Affaires étrangères », plaide
Driss Anouali.
En
vertu de la loi de 1905 de séparation des Eglises et de l'Etat
- dont l'article 2 stipule « La République ne reconnaît,
ne salarie ni ne subventionne aucun culte » -, toute subvention
publique pour l'édification d'un lieu de prière est interdite.
Néanmoins soucieuses de l'intégration de leurs administrés,
de plus en plus de municipalités, à l'instar de Strasbourg
(Bas-Rhin) ou Montreuil (Seine-Saint-Denis), mettent à disposition
des associations cultuelles, pour un loyer symbolique, des terrains
sur lesquels seront bâties les futures mosquées. En échange,
la ville s'assure un droit de regard sur le dossier, exigeant non seulement
la mise à contribution des fidèles via l'aumône
(la zakat) mais surtout l'absence de tout financement étranger,
qu'il provienne d'Algérie, du Maroc, d'Arabie saoudite...
Dénonçant
« l'hypocrisie » du système, certains élus
comme Pierre Bédier (UMP) à Mantes-la-Jolie (Yvelines)
ou Manuel Valls (PS) à Evry (Essonne) réclament un toilettage
de la loi de 1905. Au risque de rallumer « la guerre des deux
France » ?
Philippe
Baverel (avec Jean-Pierre Vialle)
Le Parisien , vendredi 15 octobre 2004