Selon la presse, Washington envisage des frappes sur les sites nucléaires.

Bush est prêt à dégainer contre l'Iran

(LIBERATION )


par Laurent MAURIAC
QUOTIDIEN : lundi 10 avril 2006

New York de notre correspondant

Les Etats-Unis envisagent des restrictions sur les importations de pistaches et de tapis si l'Iran ne renonce pas à son programme nucléaire. John Bolton, l'ambassadeur des Etats-Unis à l'ONU, en a agité la menace jeudi devant des journalistes. Officieusement, d'autres options sont en cours d'examen, militaires celles-là. C'est ce que rapporte un long article du journaliste d'investigation Seymour Hersh dans le New Yorker. Celui-ci affirme que l'administration Bush, «tout en défendant publiquement la diplomatie pour arrêter l'Iran dans sa quête de l'arme atomique», a «intensifié ses plans en vue d'une possible attaque aérienne». Célèbre pour son travail pendant la guerre du Vietnam et pour ses révélations sur la prison d'Abu Ghraib en Irak, Hersh est critiqué par certains pour son hostilité à Bush. Pourtant, son article est conforté par une enquête du Washington Post publiée hier et s'appuyant, comme lui, sur des membres «actuels et anciens» du Pentagone et de la CIA .

Depuis plusieurs années, les pays occidentaux affirment que l'Iran prépare en secret l'arme atomique. Téhéran répète que son programme est développé uniquement à des fins civiles. Le 29 mars, le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté à l'unanimité une déclaration réclamant une suspension des activités d'enrichissement d'uranium. Officiellement, John Bolton soutient cette approche qu'il qualifie de «calibrée, graduelle et réversible», pourtant aux antipodes de celle décrite par Hersh et le Washington Post.

Que préparent les Etats-Unis ?

Selon les officiels cités par les deux articles, l'US Air Force établit des listes de cibles, telles que l'usine d'enrichissement d'uranium de Natanz et l'installation de conversion d'Ispahan. Une invasion terrestre ne serait pas envisagée, précise le quotidien de Washington, les options allant d'une attaque aérienne sur quelques sites à une campagne de bombardement plus large. Le Pentagone envisagerait même des frappes nucléaires sur le bunker de Natanz qui protège les installations en sous-sol. La Maison Blanche, sans opposer de démentis à ces informations, a précisé qu'elle privilégiait une solution diplomatique. Cités dans le New York Times, des officiels démentent que des frappes nucléaires aient jamais été envisagées.

Que veut Bush?

George W. Bush lui-même a publiquement refusé par le passé d'écarter une attaque militaire. «Toutes les options sont sur la table», avait-il déclaré en août 2005 lors d'un voyage en Israël. Et aucune «n'est retirée de la table», a renchéri John Bolton, le 9 mars à New York, devant des journalistes étrangers. Selon Hersh, plusieurs membres du Pentagone pensent que le but ultime de Bush est le renversement du régime iranien. Hersh rappelle que le président Ahmadinejad a contesté la réalité de l'extermination des Juifs et souhaité qu'Israël soit «rayé de la carte». Selon un ancien responsable des renseignements, Bush et ses proches le comparent à Hitler. «C'est le nom qu'ils emploient, dit-il, cité par Hersh. Ils se demandent si l'Iran va se doter d'une arme stratégique et menacer de déclencher une nouvelle guerre mondiale.»

Qu'en pensent les Européens?

Pendant deux ans, la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne ont négocié avec l'Iran, soutenus par les Etats-Unis. L'échec de ces négociations a conduit l'AIEA (la branche de l'ONU chargée du nucléaire) a renvoyer le dossier devant le Conseil de sécurité. «Pour nous, l'option militaire est totalement exclue», dit un diplomate français. Les pays européens privilégient une approche graduelle au sein de l'ONU et cherchent des incitations pour convaincre l'Iran d'abandonner son programme. Le Royaume-Uni et la France veulent préserver l'unanimité des membres du Conseil de sécurité, meilleur moyen selon eux de faire pression sur l'Iran. Mais la Russie et la Chine sont pour l'instant opposées à ce que la moindre menace de sanctions soit évoquée, pour ne pas compromettre les négociations. Les pays européens font face à un dilemme : «Il faut aller vite, reconnaît le même diplomate. Pendant ce temps, l'Iran prépare la bombe.»

Or, les discussions à l'ONU sont laborieuses. Il a fallu trois semaines pour mettre au point la dernière déclaration, qui prévoit un délai de trente jours avant de négocier un nouveau texte. «Ce sont vraiment les Russes qui bloquent, les Chinois sont plus cool, rapporte un autre diplomate. On espère que l'organisation du sommet du G8 [à Saint-Pétersbourg en juillet, ndlr] poussera la Russie à se montrer moins rigide.»

Quels sont les risques de l'approche américaine?

«Washington devrait se rendre compte que menacer sans cesse l'Iran de sanctions économiques ou de représailles militaires a pour effet de conforter les réactionnaires et de valider leur position pronucléaire» dans le pays, estiment deux experts, James Dobbins (RAND) et Ray Takeyh (Council on Foreign Relations), dans le Financial Times. Une opération militaire «renforcerait en Iran l'idée selon laquelle le seul moyen de défendre le pays est de se doter de l'arme atomique», observe un conseiller du Pentagone cité par Hersh. Autre danger, celui de l'escalade. Le néoconservateur Reuel Marc Gerecht a ainsi déclaré que toute action préventive serait suivie d'une réaction iranienne et dégénérerait en «opération illimitée».

Reste à savoir quel effet la nouvelle des préparatifs américains aura sur Téhéran. La concomitance des deux articles peut laisser supposer que l'administration Bush mise sur la dissuasion et entend, par ces menaces, peser sur Téhéran. Mais le régime iranien, qui table sur une division de la communauté internationale, pourrait se réjouir de voir se dessiner trois camps : les Etats-Unis belliqueux, la Russie accommodante et, entre les deux, une Europe maniant avec difficulté la carotte et le bâton.