De notre correspondante à Bruxelles, ALEXANDRINE BOUILHET.
LE FIGARO du 01 novembre 2006

''C'est une mauvaise année pour la Turquie'', selon le commissaire
à l'Élargissement, Olli Rehn.
(AP/M. Sezer).
La Commission a rédigé un rapport très critique
sur la Turquie. Une réunion de crise est prévue ce week-end
à Helsinki sur la question chypriote.
À UNE SEMAINE de la remise d'un rapport très critique
sur la Turquie, Bruxelles tente d'éviter la rupture des négociations
avec Ankara. « C'est une mauvaise année pour la Turquie
», avoue en privé le commissaire à l'Élargissement,
Olli Rehn. Non seulement « le rythme des réformes s'est
ralenti », comme le souligne la Commission dans son rapport
annuel d'évaluation (lire les extraits ci-dessous), mais le
casse-tête chypriote n'est toujours pas réglé.
Le règlement de cette question technique est décisif
sur le plan politique. En septembre 2005, les Vingt-Cinq avaient fixé
un ultimatum à Ankara, lui intimant d'ouvrir ses ports et aéroports
aux navires chypriotes avant la fin 2006, faute de quoi la poursuite
des pourparlers d'adhésion serait compromise.
L'ultimatum de l'UE touche à sa fin, sans qu'Ankara ait manifesté
la moindre volonté d'obtempérer. Mercredi prochain,
à l'occasion de la remise de son rapport stratégique,
la Commission devra se prononcer sur ce sujet explosif. Favorable
à l'élargissement en général, l'exécutif
européen souhaite éviter la rupture avec Ankara. Mais
la bataille fait rage, à Bruxelles, entre les « pro »
et les « anti-Turquie ». Les commissaires eux-mêmes
sont partagés, en fonction des sensibilités politiques
de leurs pays d'origine. En coulisse, les Français plaident
pour une suspension partielle des négociations, c'est-à-dire
sur les huit chapitres liés au non-respect de l'union douanière.
Seul le commissaire chypriote exige une suspension totale des négociations
avec la Turquie.
Exigences inconciliables
Dans ce contexte à risques, la présidence finlandaise
de l'UE tente d'organiser une réunion dimanche prochain à
Helsinki, avec le ministre turc des Affaires étrangères
et son collègue chypriote. Les deux parties seront invitées
à se prononcer sur un plan finlandais recommandant d'ouvrir
Chypre du Nord au commerce avec l'UE, afin d'amener la Turquie à
ouvrir ses ports. Jusqu'à présent, les consultations
menées par la présidence n'ont mené à
rien, les deux parties s'arc-boutant sur des exigences inconciliables.
« Laissons une chance au plan finlandais jusqu'en décembre,
mais arrêtons dès maintenant les conséquences
de son échec », suggèrent plusieurs commissaires.
La décision finale reviendra, comme toujours, aux chefs d'État
et de gouvernement, réunis à Bruxelles le 16 décembre.
Le Conseil se fondera sur les recommandations de la Commission, qui
n'a jamais émis un diagnostic si sévère sur la
Turquie, notamment en matière de liberté d'expression,
de droits des femmes et du peuple kurde. Par oral, Olli Rehn a également
fait part de son inquiétude face à « l'islamisation
» de la société turque, un sujet que la Commission
n'avait jamais osé aborder auparavant.
La Commission européenne
adresse de nombreux griefs à Ankara
De notre correspondante à Bruxelles A. BO..
Publié le 01 novembre 2006
Actualisé le 01 novembre 2006 : 06h00
Les atteintes à la liberté d'expression et aux
droits de l'homme figurent sur la liste des récriminations
européennes.
LE RAPPORT de la Commission épingle la Turquie sur les dossiers
suivants : ? Chypre : « Aucun progrès n'a été
accompli dans la normalisation des relations bilatérales avec
la République de Chypre » ; « la Turquie continue
de refuser l'accès de ses ports aux navires battant pavillon
chypriote ou ayant fait escale à Chypre » ; « ces
restrictions constituent une violation de l'accord douanier entre
l'UE et la Turquie. »
? Liberté d'expression : « L'article
301 a été utilisé, de manière répétée,
pour poursuivre des opinions non violentes exprimées par les
journalistes, écrivains, éditeurs ou défenseurs
des droits de l'homme ». « Durant la période, 301
personnes ont été condamnées à cause d'une
interprétation restrictive de la loi » ; « les
cas de délits d'opinion risquent de créer un climat
d'autocensure dans le pays. »
? Droits des femmes : « Les droits des femmes
ne sont pas respectés dans les régions les plus pauvres
du pays » ; « les crimes d'honneur et les suicides de
femmes ont toujours lieu, notamment dans l'est et le sud-ouest du
pays. (...)». «Dans régions du Sud-Est, il arrive
que les filles ne soient pas enregistrées à la naissance.
»
? Droit des minorités : « Peu de progrès
signalés » ; « la minorité grecque continue
d'avoir des difficultés pour l'accès à l'éducation
et à la propriété » ; « les livres
d'écoles contiennent toujours des passages discriminants »
; « les émissions en kurde à la télévision
connaissent des restrictions » (...)
? Torture : « Le nombre de cas de torture et
de mauvais traitement a baissé, mais ils sont toujours signalés
en prison, à l'extérieur des centres de détention
et dans le sud-ouest du pays » (Kurdistan, NDLR).
? Poids de l'armée : « Les forces armées
continuent d'exercer une influence politique importante » ;
« aucun progrès n'a été accompli pour renforcer
le contrôle parlementaire sur les dépenses militaires
» ; « un protocole secret datant de 1997 autorise la conduite
d'opérations armées pour des raisons de sécurité
intérieure sans demander l'avis des autorités civiles
».
? Corruption : « La corruption est généralisée
dans le secteur public et le monde judiciaire, malgré des efforts
récents » ; « la Turquie doit améliorer
sa législation sur le financement des partis politiques ».
« Le champ de l'immunité parlementaire pose problème.
»
? Justice : « Le système judiciaire
ne fonctionne toujours pas de manière indépendante,
partiale et efficace » ; « l'impunité pose problème
» ; « les droits de la défense doivent être
mieux respectés. »
? Terrorisme : « La nouvelle loi antiterroriste
adoptée en juin 2006 peut compromettre la lutte contre la torture
et les mauvais traitements et avoir un impact négatif sur la
liberté d'expression » (...)
? Kurdistan : « La situation des droits de
l'homme est préoccupante dans cette région, surtout
depuis les émeutes de mars et avril dernier. Plus de 550 personnes
ont été emprisonnées, à l'occasion de
ces événements, dont 200 enfants » (...).