Politique
et patrimoine
La BNF en tournée américaine
pour récupérer sa bible volée
Le procès sur le retour du manuscrit n'aurait pas lieu avant
fin 2007.
par Renaud LECADRE
LIBERATION mercredi 14 juin 2006
La Bibliothèque nationale de France (BNF) peine à se
faire restituer un précieux manuscrit volé, aujourd'hui
aux mains d'un riche collectionneur américain à l'issue
d'un périple mercantile, dont le marché de l'art a le
secret. Le H52 est une bible complète (les cinq premiers livres,
le Pentateuque pour les chrétiens, la Torah pour les juifs, suivis
de cinq récits et des lectures prophétiques) rédigée
en hébreu au XIIIe siècle. Autrefois aux mains du cardinal
Mazarin, il a été légué à la BNF
(ex-bibliothèque du roi) au XVIIe siècle.
«Larcin». En mars, Michel Garel, conservateur des manuscrits
hébraïques à la BNF depuis vingt-huit ans, était
condamné pour vol à deux ans de prison avec sursis et
à 400 000 euros de dommages et intérêts, soit la
valeur marchande de l'inestimable H52. La justice française n'a
pas la preuve que Garel aurait soustrait personnellement le prestigieux
manuscrit des rayonnages, mais elle s'est basée sur le fait que
le conservateur déchu avait cosigné son bon de sortie
du territoire, au profit d'un collectionneur britannique avec lequel
il était en affaires. Avant que la manipulation ne soit formellement
établie, le H52 avait été revendu aux enchères
par la prestigieuse maison Christie's en mai 2000. Le New-Yorkais Joseph
Goldman l'emportait alors pour 368 000 dollars.
Hier, le président de la BNF, Jean-Noël Jeanneney, a rendu
publique la procédure judiciaire récemment lancée
aux Etats-Unis en vue d'obtenir la restitution de ce «manuscrit
sacré». Sa conférence de presse visait d'abord à
convaincre les médias américains de la justesse de son
action : «Nos richesses sont inaliénables et incessibles,
elles appartiennent à la nation française. Le H52 doit
revenir, comme on dit aux Etats-Unis, where he belongs.»
«Pression».L'acheteur américain, Joseph Goldman,
semble de bonne foi. Ce n'est qu'à retardement que la BNF s'était
aperçue du «larcin», et personne ne sait vraiment
quand il a été volé. Mais les négociations
amiables, entamées l'été 2005 par avocats interposés,
n'ont rien donné à ce jour. Les lois françaises
comme américaines disent pourtant la même chose : le propriétaire
d'un objet volé a le droit d'en réclamer la restitution.
Goldman semble avoir tenté de gagner du temps en réclamant
une expertise attestant que son manuscrit acheté est le même
que le manuscrit volé à la BNF (entre-temps amputé
des soixante pages de lectures prophétiques, peut-être
en vue de le maquiller), ce qui fut fait. Puis, il s'est retourné
vers Christie's, organisateur de la vente publique, lequel aurait ensuite
envoyé paître la BNF.
Il est temps «d'augmenter la pression», résume son
avocat, Me Pierre Gournot : «Il ne revient pas à la BNF
d'indemniser M. Goldman. Nous ne lui avons rien proposé, il ne
nous a rien demandé. Mais, libre à lui de se retourner
ensuite contre Christie's», lequel pourrait ensuite se retourner
contre Garel, le collectionneur britannique ayant échappé
aux poursuites. Un éventuel procès ne pourrait avoir lieu
avant l'automne 2007. D'où la piqûre de rappel médiatique.