1)
Dans votre ouvrage Banlieues en flammes, quelles thèses
avez-vous voulu avancer ?
Je n'ai pas voulu avancer une thèse en particulier. Dans
ce livre, je suis un simple agent de constatations et je formule
également quelques jugements sur le fond du problème.
Ceci
étant, la question n'est plus économique et sociale,
mais bien de culture et de civilisation.
2)
Quel est le plus grand danger qui menace la France ?
C'est
justement le fait de ne pas comprendre que ce n'est plus seulement
un problème économique et social mais un choc des
cultures et des idées. Il serait gravissime que, dans le
cadre des valeurs républicaines et de la tolérance
d'autrui, dans lequel nous avons presque tous été
élevés, nous ouvrions la porte à des prédateurs
dont ce n'est pas le mode de fonctionnement.
3)
Quels sont les groupes terroristes qui pourraient frapper l'Hexagone
? On parle souvent du GSPC algérien (Groupe salafiste pour
la prédication et le combat, NDLR). Qu'en pensez-vous ?
Le
GSPC est le plus emblématique, d'une part parce qu'il a
été le plus actif, d'autre part parce qu'il a une
convention d'entraide réciproque avec Zarkaoui, le patron
d'Al Qaïda au Moyen-Orient, et enfin parce que, renaissant
chaque fois de ses cendres, il espère un jour fédérer
sous sa houlette les groupes combattants bien moins actifs que
lui de Tunisie et du Maroc.
Il
y a par ailleurs, y compris en France, des groupes « atomisés
» qui se nourrissent de la pensée de Ben Laden et
qui agiront de façon autonome si l'occasion se présente.
Il faut ajouter que ces groupes sont souvent des « terro-criminels
», qui pratiquent des activités telles que la contrefaçon
ou les hold-up, voire le racket, pour financer leurs infrastructures.
4)
De nombreux experts mettent en garde contre le prosélytisme
islamiste qui serait à l'oeuvre dans les prisons, quel
regard portez vous sur cette question ?
Tout
le monde sait que le prosélytisme islamique est à
l'oeuvre dans les prisons. Plusieurs grands médias français
ont consacré des pages entières à ce sujet.
Il est clair que dans la mesure où un prédicateur
se retrouve dans un espace clos avec un certain nombre de personnes
déstabilisées, le message est beaucoup plus facile
à faire passer. Par ailleurs, il y a une logique perverse
qui fait que les quartiers où ces prosélytes agissent
sont, et pour cause, les plus calmes des prisons, ce qui fait
que l'administration pénitentiaire est moins tentée
d'y porter une attention particulière.
Ceci
étant, les services officiels et notamment les Renseignements
Généraux, sont parfaitement au courant de cette
situation et ont mis en place un certain nombre de mesures dont
beaucoup sont confidentielles, pour avoir en permanence un regard
sur leurs activités.
5)
Quels sont les différents choix politiques qui ont mené
à la situation dans laquelle nous nous trouvons ?
Je
ne pense pas qu'il y ait eu de choix politique délibéré.
Ce que je crois, c'est qu'aussi bien à droite qu'à
gauche, il y a un vieux fond d'esprit « rousseauiste »
qui a fait dire, aux uns et aux autres, « ce n'est pas possible
que l'on n'arrive pas à les amender, ce n'est pas possible
qu'ils ne comprennent pas que ce que nous faisons c'est pour leur
bien, ce n'est pas possible qu'ils ne comprennent pas qu'ils ont
une chance inouïe de vivre chez nous etc... »
En
conséquence, nous sommes partis sur des options qui ne
sont même pas des choix, mais des convictions relevant de
l'inconscient le plus profond de la mentalité française,
à savoir l'égalité, la fraternité,
et son corollaire, l'intégration.
6)
Quelle est la plus grande faute politique de ces trente dernières
années ?
Avoir
pensé que tout le monde pouvait être de bonne foi
et rechercher à tout prix le consensus.
7)
Au cas où il ne soit pas encore trop tard, quelles solutions
préconisez-vous ?
Je
crains fort qu'il n'y ait aucune issue positive, à court
et moyen terme. Je pense que l'on continuera à faire ce
que nous faisons aujourd'hui, c'est-à-dire assister, subventionner,
payer des aides sociales, créer de nouvelles zones franches
et tenter de maintenir un calme relatif tout en entamant quelques
réformes de fond qui, pour réussir, doivent nécessairement
bénéficier d'un consensus national, ce qui est loin
d'être acquis.
Or,
ce consensus est nécessaire car aucune réforme ne
réussira si elle n'est la conséquence d'une volonté
politique forte et unanime sur des sujets que ne sont plus économiques
ou sociaux mais de civilisation. Il faut :
-
Réguler l'immigration et lutter de façon énergique
contre l'immigration illégale, notamment en favorisant
le retour des immigrés dans leur pays par des aides massives
et contrôlées (la condition sine qua non) au développement.
-
Dire que l'école ne peut plus être le moteur de l'intégration,
après avoir constaté le nombre d'analphabètes
parvenant en classe de 6ème, et chercher d'autres voies,
en se posant d'abord la question de savoir si cette intégration
est possible et, surtout, si elle est voulue par tous.
-
Dire, crier même, que le résultat, aussi imparfait
soit-il, de plusieurs siècles d'avancées philosophiques
et scientifiques, qu'un mode de vie accepté par une majorité
de citoyens, ne sera jamais remis en cause par des pratiques confessionnelles
ou communautaires qui sont, chacun peut le constater, un retour
inacceptable de l'obscurantisme.
-
Prendre les mesures nécessaires pour que cela soit.
-
Enfin, se persuader que le modèle social a ses limites
et que la France est devenue une puissance moyenne, ballotée
dans l'océan agité d'un mondialisme agressif ou
la compétition est féroce. Se mettre en état
de penser autrement.
Il
faudrait aussi qu'une politique commune s'exprime en Europe pour
maîtriser les flux migratoires (ce qu'est en train de faire
la Hollande), qu'une politique sociale également commune
évite les distorsions constatées actuellement, et
surtout, il faut être fier de nos valeurs de laïcité,
de tolérance, de respect de l'autre et les défendre
quoi qu'il en coûte.
Il
faut, pour conclure, que les autorités promettent haut
et fort, et tiennent leurs promesses, de soutenir les citoyens
respectables et respectueux des lois, que cela plaise ou non à
ceux qui font l'air du temps.
8)
En 1991, vous avez publié un ouvrage intitulé Demain,
la guerre civile ? , les émeutes de novembre dernier constituaient-elles
l'avant-goût de cette catastrophe que vous prédisiez
voilà déjà quinze ans ?
Avant
de répondre à cette question, un petit historique
: le problème date des années 70. Mais c'est le
score imprévu et significatif de Jean-Marie Le Pen aux
élections de 1984 qui lui a donné une dimension
nettement politique. Dans les zones sensibles, le leader d'extrême-droite
dépassait largement sa moyenne nationale. C'est donc depuis
30 ans que le volcan des banlieues est l'objet d'éruptions
cycliques d'intensité variable, mais qui témoignent
toutes d'une forte activité interne. La dernière
éruption a été violente mais il est clair
qu'il y aura d'abord des répliques, et ensuite d'autres
éruptions.
Je
ne suis pas devin, et je ne prédis pas l'avenir, mais je
sais que ce choc des civilisations et des idées ne se résoudra
pas par une augmentation des aides financières aux banlieues.
9)
Vous avez la dent dure contre les sociologues, que leur reprochez-vous
le plus ?
Je
n'ai rien contre la sociologie qui est une science indispensable
à la compréhension du monde dans lequel nous vivons.
En
revanche, ce que je reproche aux sociologues, c'est de suivre
leurs convictions personnelles et de tirer des conclusions fausses
de constatations exactes. Les sociologues ont oublié une
chose, parce que ce n'est pas leur métier, c'est que tout
est politique, y compris leurs chiffres, et qu'ils doivent être
vigilants.
10)
Dans ce fiasco général, quelle place a joué
l'Education Nationale ?
Je
ne sais pas s'il faut stigmatiser spécifiquement l'Education
Nationale puisque ce qui a été mis en oeuvre est
la conséquence de choix politiques qui ont été
constants, quels que soient les gouvernements qui se sont succédés
au pouvoir.
En
effet, ce qui est incontestable, c'est que face aux échecs
scolaires et aux inégalités, tous les Gouvernements
ont essayé de mettre en place une série de mesures
louables sur le papier mais qui se sont révélées
catastrophiques. Par exemple, la création des ZEP (Zones
d'Education Prioritaires), dans des zones ou l'analphabétisme,
l'absentéisme et les incivilités commençaient
à se développer de façon inquiétante.
Comme dit Jean-Paul Brighelli (auteur de La Fabrique du crétin,
NDLR) , ces ghettos sont vite devenus les culs de basse fosse
de notre système éducatif, bien que dotés
de moyens financiers importants et, notamment, de matériel
informatique dernier cri.
Jean-Paul
Brighelli poursuit : « On a ainsi cru acheter à bon
compte la paix scolaire. Mais on a aussi vu fleurir des circulaires
et des discours ministériels d'esprit libertaire et post
soixante-huitard, affirmant que c'est à l'élève
de constituer ses propres savoirs et qu'il ne devait rien acquérir
par la contrainte. En un mot, on a baissé le seuil d'exigence
sans se rendre compte que moins on exige des élèves,
moins ils donnent ; et moins ils donnent moins ils reçoivent
et plus ils se trouvent sans repères face au monde des
adultes.
Pour
ne pas désespérer les élèves, les
professeurs adaptent leurs exigences pendant l'année. Le
système nie l'existence des ghettos et des échecs
scolaires qui leur sont liés au point que la moyenne des
copies au bac n'est pas censée différer des autres,
et si celles provenant des ZEP sont plus basses, on ajuste mécaniquement
les notes pour pouvoir gagner jusqu'à 4 points. Il ne faut
pas s'étonner ensuite que les jeunes bacheliers qui arrivent
fassent partie des 50% d'étudiants échouant au DEUG.
Il y a aussi les écoles elles-mêmes, bâtiments
préfabriqués dans un état épouvantable,
les communes endettées, les instituteurs sans matériel
de base, l'absentéisme scolaire.
Sur ce dernier sujet, Didier Paillart, Maire de St Denis, explique
que les élèves de la fin du primaire et du collège
« posent des problèmes ». Qu'en termes galants,
ces choses-là sont dites : en 2004, l'absentéisme
concernait 5% des 12 millions de potaches, tous âges confondus,
mais atteignait 12.1% dans les lycées professionnels en
ZEP. Et le 93 est au-dessus de cette moyenne nationale avec des
scores de 7 à 17 %, ce qui est énorme. Selon l'aide
sociale à l'enfance, il y aurait à peu près
5.000 jeunes enfants déscolarisés en Seine St Denis,
sans compter les enfants d'immigrés en situation irrégulière
qui ne sont pas inscrits à l'école.
11)
Quelles erreurs ne doivent absolument pas commettre les politiques
dans les mois qui viennent ?
L'erreur
première, c'est de croire qu'une politique d'apaisement
peut avoir un effet quelconque. La réaction du Président
de la République, notamment après la publication
des dessins caricaturant le Prophète, est significative.
Personnellement,
je respecte toutes les religions et je n'aurais pas fait ces caricatures,
certaines en tous cas, du Prophète.
Mais
j'estime absolument indispensable que celui qui a envie de le
faire le puisse. Parce qu'aujourd'hui, ce sera l'interdiction
de ces caricatures, et demain d'autres choses. Si on met le doigt
dans l'engrenage, c'est la fin des libertés individuelles
et le début d'une société dictatoriale, que
ce soit la dictature du prolétariat, celle du politiquement
correct, celle du communautarisme, ou d'un quelconque fascisme.
Je
suis contre toute forme d'interdiction (???), sauf en ce qui concerne
la vie sociale, ce qui est autre chose et ressort du respect de
la vie en commun.
12)
Vous êtes contre le principe de la Police de proximité,
un simple placebo d'après vous ?
En
fait, je me suis peut-être mal exprimé. Je ne suis
pas contre mais je rappelle que Nicolas Sarkozy, lors de sa nomination,
a dit fort justement que « les flics ne sont pas des assistantes
sociales ». Aujourd'hui, on dit qu'il faut ramener les policiers
dans le tissu social. C'est à la fois vrai et faux. Il
faut ramener les policiers dans le tissu social, certes, mais
dans des conditions où ils soient maîtres du jeu.
Il ne faut pas que par manque d'effectifs, de formation, de pugnacité,
ces flics ne soient que des « communicants ».
Le
problème est simple : s'ils sont capables d'empêcher
une bande de caïds de racketter une boulangerie ou une épicerie,
c'est une vraie Police de proximité, s'ils n'en sont pas
capables, il faut trouver d'autres solutions.
13)
Des milliards ont été injectés depuis des
années dans la politique de la Ville et les résultats
se font toujours attendre. Pourquoi une telle fuite en avant ?
Je
pense qu'il y a la crainte de dire vraiment les choses telles
qu'elles sont : il est plus facile de faire voter des allocations
de crédits pour calmer la « colère des banlieues
» et, de toute façon, jamais personne ne mesurera
précisément les effets positifs ou négatifs
de ces milliards qui sont injectés. C'est une approche
technique, assimilable à une fuite en avant qui dispense
de solutions de remplacement vraisemblablement coûteuses
en termes d'image.
14)
Vous êtes hostile à l'entrée de la Turquie
dans l'Union, quelles sont les raisons qui vous poussent à
défendre cette position ?
Je
suis hostile à l'entrée de la Turquie pour plusieurs
raisons. La première est géographique, la Turquie
n'étant pas dans l'Europe, malgré son excroissance
continentale. La seconde est que la Turquie, malgré les
apparences, n'est pas démocratique. La Turquie est également
un pays musulman, aujourd'hui présentable mais qui demain
peut, comme cela s'est passé en Palestine, voir l'arrivée
au pouvoir de partis islamistes radicaux, et l'application de
la Charia.
Ce
n'est pas une vue de l'esprit, c'est tout à fait possible.
Il
ne me viendrait pas à l'idée de contester aux musulmans
l'application de la Charia s'ils le désirent, mais cette
« régulation sociale » est tellement imbriquée
dans le religieux et tellement contraire à tout ce que
nous défendons depuis des siècles, que je me vois
mal accepter, ne fut-ce que dans une hypothèse lointaine,
de la voir instituée dans un pays devenu européen.
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