L'Ile-de-France dessine son aménagement à l'horizon 2020
LE MONDE | 14.09.05 | 13h59

Pour la première fois, la région Ile-de-France va piloter elle-même la révision de son schéma directeur, ce document censé fixer, pour les quinze à vingt prochaines années, les grandes lignes de son développement. Organisation de l'espace, affectation des terrains, localisation des grands équipements et protection de l'environnement : le schéma directeur régional d'Ile-de-France (Sdrif) propose un cadre général sur lequel doivent s'appuyer tous les documents d'urbanisme locaux.


29 % du PIB français... répartis inégalement
Richesse et emploi. La région concentre 29 % du produit intérieur brut (PIB), 38 % des postes de cadres et 45 % des emplois stratégiques. Deux tiers de ces derniers sont à Paris et dans les Hauts-de-Seine. La logistique est principalement à l'est et les emplois tertiaires au centre-ouest. En dix ans, 300 000 emplois industriels ont été perdus.

Fiscalité. La richesse fiscale est concentrée entre un petit nombre de communes du Centre et de l'Ouest. Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) dispose d'un potentiel fiscal de 375 euros par habitant, contre 1 439 euros pour Paris et 3 945 euros pour Puteaux (Hauts-de-Seine) ­ qui accueille une partie du quartier d'affaires de la Défense.

Déplacements. Les trajets de banlieue à banlieue, en hausse, représentent 70 % des déplacements. Tous ne sont pas des déplacements de rocade et 23 % se font au sein d'une même commune. Les trajets vers Paris stagnent. L'usage de la voiture augmente et représente 43 % des déplacements contre 19 % pour les transports en commun.


Prescriptif, il est ­ théoriquement ­ opposable à tous les autres documents, mais son véritable intérêt est sans doute d'obliger Etat et collectivités, élus et représentants du monde économique, à confronter leur expertise et leur choix politiques sur l'avenir de la région.


NOUVELLES RÈGLES


Le schéma actuel, qui date d'avril 1994, avait été entièrement piloté par l'Etat, comme il était alors d'usage. Les règles ayant changé, un an plus tard, avec l'adoption, en février 1995, de la loi Pasqua sur l'aménagement du territoire, qui donne à la région compétence pour piloter elle-même son schéma directeur, l'idée d'une remise sur le chantier s'est imposée.

Au lendemain des élections régionales de mars 2004, la gauche du conseil régional, forte de la majorité absolue qu'elle n'avait pas lors du premier mandat du président de la région, Jean-Paul Huchon (PS), a donc décidé de commencer cette révision. L'assemblée régionale a officialisé la démarche par un vote, à l'unanimité, le 25 juin 2004 et, deux mois plus tard, la loi de décentralisation du 13 août 2004 lui a fourni un argument supplémentaire en transférant aux collectivités locales des pans entiers de compétences ­ le logement aux intercommunalités, les routes aux départements, les transports publics à la région. Les travaux ont été lancés en grande pompe lors d'un colloque à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), le 21 octobre 2004.

Tout le monde, ou à peu près, s'accorde sur le diagnostic. Dans un contexte de faible croissance économique, le Sdrif de 1994 a été impuissant à réorienter le développement économique de la région vers l'Est. La division sociale s'est accrue, et les écarts se sont creusés entre les habitants et les communes de l'Ouest et le reste du territoire. Le desserrement de l'emploi du centre de l'agglomération vers les communes périphériques a, aussi, modifié la géographie des déplacements des 11 millions de Franciliens et rendu insuffisante l'offre de transports "concentriques", de banlieue à banlieue. Enfin, la panne de la construction fait aujourd'hui de l'Ile-de-France la région où la demande de logements est la plus forte, alors qu'on y construit seulement trois logements pour 1 000 habitants (contre six pour 1 000 en Rhône-Alpes et huit pour 1 000 en Languedoc-Roussillon).

"Nous sommes dans une période de rupture où l'enjeu n'est plus, comme en 1994, de prolonger des tendances" , juge Mireille Ferri, vice-présidente du conseil régional chargée de l'aménagement du territoire et, à ce titre, de la révision du Sdrif, qui souhaite que la mise en oeuvre du schéma soit "évaluée" , qu'il définisse "une stratégie" et "de vraies priorités" .

"Le coeur du débat, souligne pour sa part Pierre Mansat, adjoint (PCF) au maire de Paris et membre du comité de pilotage du Sdrif, ce n'est pas la définition d'objectifs quantitatifs mais les enjeux politiques. Qui produit du logement et qui n'en produit pas ? Quelle urbanisation dans la zone dense incluant Paris et quelles relations avec la grande couronne ? Voilà les questions qui fâchent, sur lesquelles le débat politique, dans les prochains mois, va se durcir."


L'ÉTAT PEU PRESSÉ


Engagé depuis des mois dans un rapport de forces avec la région, notamment sur le financement des transports et la politique du logement, l'Etat ne semble pas vraiment pressé de faire aboutir la démarche. Le décret officialisant la révision du Sdrif n'a été publié que le 1er septembre ­ soit plus d'un an après le colloque d'Aubervilliers.

En outre, le gouvernement n'a toujours pas donné au préfet de région, Bertrand Landrieu, le mandat fixant les orientations qu'il veut voir prendre en compte. Une version provisoire de ce mandat, d'une dizaine de pages et daté de mars, circule toutefois au conseil régional. L'Etat insiste notamment sur la nécessité de "développer l'offre foncière" pour "résoudre la crise du logement en Ile-de-France" et évalue les besoins à "60 000 logements neufs par an" . Mais il ne répond pas à la demande ­ pressante ­ de la région de création d'une agence foncière régionale, une idée à laquelle sont farouchement opposés les trois présidents de conseils généraux de droite, à commencer par celui des Hauts-de-Seine, Nicolas Sarkozy.

L'Etat prône aussi "le rééquilibrage de la région à l'est" , une injonction déjà présente dans le schéma de 1994 dont chacun s'accorde à dire qu'elle est restée lettre morte. Enfin, en matière de déplacements ­ sans doute une des questions majeures avec celle du logement ­, il souhaite qu'ils soient "facilités tant par transports collectifs que par route" ­ ce qui a immédiatement fait bondir les Verts, particulièrement Mireille Ferri, "Sur les liaisons où l'usage de transports collectifs n'apparaît pas pertinent, en particulier en grande couronne, précise le mandat du préfet de région, vous veillerez à ce que les réservations pour l'adaptation des infrastructures routières (...) soient dimensionnées dans une perspective de long terme."

L'Etat devrait donner à la région sa feuille de route définitive lors d'un forum qui se tiendra au conseil régional, mercredi 14 septembre. Y sera présentée la synthèse des quatre "ateliers thématiques" qui se sont tenus en juin sur l'"attractivité de la région" , la "réduction des inégalités sociales et territoriales" , l' "amélioration de la qualité de vie" et la "protection de l'environnement" .

Suivront, à partir de novembre, des "ateliers territoriaux" , l'objectif étant d'aboutir à un premier jet du nouveau schéma fin 2006 et à un document définitif soumis aux services de l'Etat... début 2008.

Christine Garin
Article paru dans l'édition du 15.09.05