Léo, 16 ans
: " Comme s'ils pensaient que nous, les "Blancs" parisiens,
on avait plein de fric"
LE MONDE | 15.03.05 | 14h17
"On
manifeste contre les inégalités et ils nous frappent",
constate le lycéen.
Elève en seconde au lycée Paul-Valéry, à
Paris, Tristan Goldbronn, 16 ans, était parti manifester avec
l'espoir de faire vaciller le gouvernement sur la loi Fillon. Mardi
8 mars, il a été roué de coups par des casseurs
venus dans le cortège parisien pour racketter et tabasser les
manifestants. Encore sous le choc, Tristan raconte une agression qui
l'a profondément traumatisé. Il se trouvait alors entre
la place de la République et celle de la Bastille avec trois
copines. "Une main s'est agrippée à ma poche. Je
me suis retourné, j'ai attrapé la main et j'ai essayé
de faire une clé de bras", raconte le lycéen, amateur
de boxe française.
Son
agresseur, qui portait un survêtement gris et une capuche rabattue
sur la tête, a essayé de se dégager. Par derrière,
Tristan a alors reçu un fort coup sur l'épaule gauche.
Puis un coup de pied dans l'estomac, l'obligeant à se plier en
deux. Une copine a essayé de s'interposer et s'est fait gifler.
D'autres individus ont alors rejoint le premier agresseur. "Je
croyais qu'ils étaient cinq ou six. Mes amis m'ont dit qu'ils
étaient une douzaine", explique Tristan. Ils l'ont frappé
sur les épaules, les jambes et lui ont brisé sur la tête
le bâton d'une banderole. Puis les casseurs sont partis en courant.
La scène se passait à quelques mètres de CRS, qui
n'ont pas bougé
Ayant
du mal à se déplacer, souffrant de vertiges, Tristan a
essayé de quitter la manifestation. "Dans les ruelles parallèles,
des bandes de casseurs rackettaient ceux qui sortaient." Des policiers
à vélo lui ont indiqué un passage dans une résidence.
Après de longues minutes, il a fini par trouver un poste de police.
Il a ensuite été transféré aux urgences
de la Pitié-Salpêtrière. "Là-bas, il
y avait des lycéens avec des griffures, des coupures, un qui
avait le bras cassé. Moi, j'ai eu de la chance." Tristan
ne souffrait que de contusions sur le crâne et à l'abdomen.
Il a déposé une plainte. Comme d'autres, il a fait le
constat que les agresseurs étaient essentiellement des "Blacks"
et les victimes des "Blancs". Pour ne pas se laisser faire,
il comptait manifester mardi 15 mars.
Son
copain Léo, qui ne veut pas donner son nom parce qu'il habite
Montreuil, ne reviendra pas. Trop de colère, trop de peur surtout.
A Bastille, ce lycéen de 16 ans, également scolarisé
à Paul-Valéry, s'est fait accoster par un jeune qui lui
a demandé de lui donner "1 ou 2 euros". Léo
a répondu qu'il n'avait rien sur lui. "Il m'a dit : "Si
je te fouille et que je trouve quelque chose, je te frappe.""
Léo a repoussé avec la main le jeune homme. Le ton est
monté. Et subitement il s'est retrouvé, avec son copain,
devant six à huit jeunes décidés à les frapper.
"A
ce moment, des policiers en civil sont arrivés et ont interpellé
celui qui nous cherchait." Léo n'a pas été
blessé mais il ressent une profonde amertume. " On vient
manifester contre les inégalités et ils nous frappent.
Comme s'ils pensaient que nous, les "Blancs" parisiens, on
avait plein de fric, qu'on pouvait se racheter un nouveau portable demain."
Luc
Colpart, professeur d'histoire-géographie dans un collège
de Seine-Saint-Denis, militant du syndicat SUD-éducation (proche
de l'extrême gauche), donne un récit similaire. Il a été
bouleversé par les scènes de violence. Il dit ne pas en
avoir dormi pendant plusieurs jours. Devant lui, des lycéens
ont été traînés par les cheveux. D'autres
ont été "massacrés" à coups de
pied et de poing. Des agresseurs ont volé des portables pour
les briser devant les yeux de leurs victimes. "C'était un
jeu. De la haine et de l'amusement." Pour ce militant engagé
dans l'antiracisme, "il s'agissait d'agressions de type raciale"
: "Je n'ai vu que des Noirs agresser des Blancs", écrit-il
dans un mail de témoignage. Après la dispersion de la
manifestation, dans le métro, Luc Colpart a vu un jeune Noir
essayer de prendre la défense d'un lycéen menacé
par trois agresseurs noirs. "Il s'est fait traiter de "suceur
de Blancs". (...) Les propos tenus étaient des discours
d'extrême droite, violents et racistes."
Luc Bronner
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 16.03.05