Par Renaud LECADRE
QUOTIDIEN : Jeudi 5 octobre 2006 - 06:00
Manuel Aeschlimann, maillon faible de Nicolas Sarkozy ? Maire d'Asnières
(Hauts-de-Seine), conseiller pour «l'opinion publique»
du président de l'UMP, il s'est lancé depuis quatre
ans dans une croisade contre des associations locales de riverains,
opposées à ses projets urbains, qu'il accuse de dérives
sectaires. Aeschlimann avait obtenu le renfort des RG et de la DST,
deux services sous la tutelle de son ami Sarkozy. Utilisation à
des fins partisanes des moyens du ministère de l'Intérieur
? Les RG avaient ainsi mis en cause le «fonctionnement totalitaire»
de la Fondation Ostad Elahi, du nom d'un ancien magistrat iranien
(1895-1974), philosophe et musicien (grand maître du tanbur,
le luth persan), qualifié de «gourou» ou de «Dieu
omniscient», dont les membres, très impliqués
dans l'opposition asnièroise à Manuel Aeschlimann, s'érigeraient
en «contre-pouvoir municipal» par «infiltration».
Pour parfaire le tableau, ne manquait plus que l'avis de la mission
interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives
sectaires (Miviludes), sous tutelle de Matignon. Elle dépend
moins de Villepin que les RG ne dépendent de Sarkozy, son opinion
plus éclairée a été rendue publique mardi
: la Fondation Ostad Elahi n'est pas une secte, mais, sur fond de
«communautarisme exacerbé» entre émigrés
iraniens, une «nébuleuse» dont les «dérapages
ressemblent à des pratiques sectaires.»
Tract. Il aura fallu l'intervention de la justice pour que les notes
RG estampillées «Confidentiel défense» soient
mises au jour et que la Miviludes monte officiellement au créneau.
A l'origine de l'affaire, la mairie d'Asnières avait distribué
un tract à 40 000 exemplaires dénonçant une «infiltration
par des membres d'une organisation spiritualiste, ésotérique
et cultuelle». Après plainte de la Fondation Elahi, qui
effectivement cultive la mystique soufiste, l'adjoint à la
communication de Manuel Aeschlimann était condamné pour
diffamation en septembre 2005, le tribunal de Nanterre relevant que
les RG et la Miviludes ne l'ont jamais «répertoriée»
comme secte. Dès le lendemain du jugement, avec une réactivité
qui force l'admiration, les RG rédigeaient deux «blancs»
(notes non signées) mettant en cause la Fondation Elahi...
La Cour de Versailles, saisie en appel, a obtenu la déclassification
de l'une de ces notes, puis «invité» la Miviludes
à rendre un avis, reportant l'examen de l'affaire pendant neuf
mois. La Cour va enfin pouvoir statuer le 28 octobre prochain. «Je
n'ai pas cherché à faire plaisir ou de la peine
à personne, nuance Jean-Michel Roulet, président
de la Miviludes : mais si on peut éclairer la justice et les
médias» ... «Ses observations sont accablantes
et dépassent de très loin le conflit local», se
félicite au contraire Me Olivier Schnerb, avocat de la mairie
d'Asnières. Or, la Miviludes n'a rien à reprocher au
fonctionnement interne de la Fondation Ostad Elahi.
Adeptes. On y entre comme on en sort : pas de prosélytisme,
pas d'adeptes sous dépendance psychologique, pas d'achat forcé
de CD, livres et autres produits dérivés... Le harcèlement
serait plutôt externe : «C'est bien la première
fois que la mission relève autant d'interventions, autant de
manoeuvres d'intoxication de la part d'une organisation», relève
la Miviludes. Et de s'en prendre personnellement à Me François
Ameli, avocat de la Fondation Elahi. Lequel a «du mal à
comprendre : si on se défend, on est une secte ; si on laisse
dire les RG, on est une secte».
La Miviludes retient à charge «l'environnement judiciaire
particulièrement complexe et chargé» de la «nébuleuse»
Elahi. De fait, le harcèlement procédural est une forme
particulièrement prisée des sectes. Mais dans les Hauts-de-Seine,
le champion est incontestablement la mairie d'Asnières, qui
passe sa vie à porter plainte contre ses opposants en tous
genres. En juin , Francis Pourbagher, directeur de cabinet de Aeschlimann
a été condamné à six mois de prison avec
sursis pour dénonciation calomnieuse il avait accusé
à tort un membre de la Fondation Elahi de lui avoir foncé
dessus en voiture. Le tribunal de Nanterre, qui n'en peut plus des
affaires asniéroises, dénonçait alors une «instrumentalisation
de l'autorité judiciaire».