LE FIGARO : mercredi 14 avril 2004
POPULATION
Un 
  document du ministère des Affaires sociales révèle que 
  le nombre d'entrées légales a fait un bond de 36% entre 1999 et 
  2002 
  Immigration : le rapport qui dérange 
  Selon un document, suffisamment explosif pour avoir été mis sous 
  le boisseau par l'ex-ministre des Affaires sociales, François Fillon, 
  le temps de la campagne électorale, la France a enregistré un 
  bond de 36% de l'immigration légale à vocation permanente entre 
  1999 et 2002. Une tendance héritée de l'ère Jospin que 
  l'actuelle majorité n'a pas vraiment réussi à inverser. 
  Ce rapport de la Direction de la population et des migrations (DPM) du ministère 
  des Affaires sociales, que Le Figaro s'est procuré, remet en cause les 
  affirmations du directeur de l'Ined, François Héran, qui s'en 
  prenait il y a trois mois dans une étude (*) qui fit grand bruit à 
  quelques «idées reçues» sur l'immigration, affirmant 
  que la France n'était pas un pays d'«immigration massive» 
  et que la pression migratoire n'était pas aussi importante que le prétendaient 
  certains tenants d'une «vaste opération de reprise en mains». 
  
  Marie-Christine Tabet 
  
  [14 avril 2004] 
A son arrivée au ministère de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy avait tenu à rompre avec un mythe, celui de l'immigration zéro. Il avait quelque raison de le faire : véritable tableau de bord de l'immigration régulière, le rapport de la Direction de la population et des migrations, réalisé par le démographe André Lebon, montre que, durant les trois années qui ont vu les socialistes Jean-Pierre Chevènement et Daniel Vaillant se succéder Place Beauvau, l'immigration légale n'a jamais cessé de progresser fortement. Il montre aussi qu'en 2002, année pendant laquelle gauche et droite ont été alternativement au pouvoir, les entrées régulières ont enregistré une hausse record de 16%, pour atteindre plus de 156 0000, contre quelque 115 000 quatre ans plus tôt. Le premier bilan 2003 réalisé par le ministère de l'Intérieur, à partir de la délivrance des titres de séjour, indique que la hausse s'est poursuivie l'an dernier, même s'il est trop tôt pour dire dans quelles proportions.
  Ces calculs ne prennent en compte que les étrangers ayant obtenu un premier 
  titre de séjour d'une validité supérieure à un an, 
  qu'ils viennent d'entrer sur notre territoire ou qu'ils aient obtenu la régularisation 
  de leur situation. 
Le rapport de la DPM ne comptabilise pas les étudiants étrangers, qui vivent eux aussi tout à fait légalement en France : ils ont plus que doublé en cinq ans, passant de 23 502 en 1998 à 55 498 en 2002 (hors ressortissants de l'espace Schengen).
  A ces flux, il faut également ajouter les demandeurs d'asile. La France 
  est, en effet, devenu le pays le plus attractif d'Europe après que l'Allemagne 
  et la Grande-Bretagne ont durci leur législation. En 2003, l'Office français 
  des réfugiés et apatrides (Ofpra) a reçu quelque 52 000 
  premiers dossiers d'adultes – deux fois plus qu'il y a cinq ans ! – 
  accompagnés de 7 000 mineurs. En outre, les préfectures qui, jusqu'au 
  31 décembre dernier, traitaient les demandes d'asile territorial (protection 
  particulière accordée aux victimes de persécutions non 
  étatiques) ont enregistré 28 500 requêtes. Débordé, 
  le gouvernement a dû ouvrir en urgence plus de 4 000 places d'hébergement 
  dans des structures spécialisées. Cela n'a pas suffi et il a fallu 
  réserver 18 000 chambres d'hôtel pour faire face aux besoins. 
  Enfin, parmi les nouveaux arrivants, il faut compter les sans-papiers qui, faute 
  de visas ou de titres de séjour officiels, tentent leur chance dans la 
  clandestinité : ils seraient 60 000 chaque année, selon l'Intérieur. 
  
Le rapport de la DPM est conçu chaque année à partir des statistiques de l'Office des migrations internationales (OMI), du ministère de l'Intérieur et de l'Ofpra. Son auteur affiche une marge d'erreur d'environ 8%. Et pour cause : toutes les entrées ne sont pas comptabilisées. Les mineurs, par exemple, n'ont pas de carte de séjour et dépendent de celle de leurs parents. Leur nombre ne peut être qu'estimé.
  La livraison 2003 du rapport Lebon est particulièrement intéressante 
  car elle montre que l'immigration se modifie structurellement. La part des ressortissants 
  de l'Espace économique européen (EEE) se réduit : nos voisins 
  représentaient encore 27% des entrées en 1999 contre à 
  peine 20% en 2002. La part des immigrés de pays plus lointains ne cesse, 
  en revanche, de progresser. Les immigrés originaires du continent africain, 
  principalement des Maghrébins, comptent pour 63% des nouveaux venus contre 
  59% un an auparavant, loin devant les Asiatiques (18%), les Européens 
  non communautaires et originaires de l'ex-Union soviétique (9%) et les 
  ressortissants des Amériques (8,5%). 
  Au total, la part des étrangers non «communautaires» qui 
  obtiennent un premier titre de séjour a grimpé de 50% en quatre 
  ans et a été multiplié par 2,5 depuis 1996. Les chiffres 
  du rapport Lebon ont été retraités pour tenir compte du 
  mouvement de régularisation de 1997, qui avait artificiellement gonflé 
  les «entrées» en faisant sortir de la clandestinité 
  des personnes déjà sur le territoire. 
Ces transformations s'expliquent par la nature même de l'immigration. La constitution ou reconstitution de famille est désormais la principale cause de la venue en France : 80 000 personnes en 2002 contre 50 000 en 1999. «Les titres délivrés à des conjoints de Français ou de résidents progressent de façon très importante», remarque un ex-conseiller de Nicolas Sarkozy.
  Pays d'immigration ancienne, disposant sur son sol de communautés d'origine 
  étrangère bien enracinées, la France attire un flux naturel 
  d'immigration. La nouvelle loi sur les conditions d'entrée et de séjour 
  en France, votée à l'automne, s'est concentrée sur les 
  sanctions contre l'immigration illégale mais ne remet pas en cause les 
  conditions d'accès au territoire. 
Le dossier de l'immigration est aujourd'hui sur le bureau de Dominique de Villepin. L'ex-chef de la diplomatie s'était fortement impliqué dans la réforme du droit d'asile, entrée en vigueur en janvier. Mais c'était avant tout pour répondre à une commande du président et, au passage, ne pas laisser le champ libre à Nicolas Sarkozy.
  Devenu «premier flic de France», va-t-il aller plus loin ? Sa marge 
  de manoeuvre est limitée. La dernière loi sur l'immigration doit 
  encore produire ses effets et les directives européennes ne permettent 
  pas, de toute façon, de remettre en cause certains grands principes, 
  notamment les conditions du regroupement familial. 
(*) Population et sociétés, Ined, janvier 2004.