IMMIGRATION : Des allocations familiales pour les enfants entrés illégalement en France !
Un décret change le code de la Sécurité sociale, qui refusait jusque-là les prestations aux parents n'ayant pas respecté les règles du regroupement familial.

Laurence de Charette - Le Figaro [26 février 2005]

Mardi, les administrateurs de la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf) vont devoir se prononcer sur un dossier particulièrement sensible : le versement des prestations familiales pour les enfants mineurs d'étrangers. Le gouvernement vient en effet de rédiger un décret qui va leur faciliter l'obtention de toutes les allocations. La France se trouve depuis des années dans l'illégalité : le code de la Sécurité sociale a été épinglé à plusieurs reprises – par des instances européennes et même nationales – pour sa trop grande rigidité.

Des parents étrangers, pourtant en situation régulière, ne pouvaient obtenir jusqu'à présent de prestations familiales au titre des mineurs dont ils ont la charge. Les enfants qui ne sont pas nés en France – ou qui ne sont pas entrés sur le territoire par la voie du regroupement familial – ne bénéficiaient pas des différentes allocations des CAF. Leur dossier butait sur l'article D. 511-1 du code de la Sécurité sociale qui exige (quand l'enfant n'est pas né en France) la présentation d'un certificat médical de l'Office des migrations internationales (OMI), lui-même délivré exclusivement dans le cadre du regroupement familial.

«Le regroupement familial est bien loin de couvrir toutes les situations, explique Stéphanie Ségues, juriste au Catred, une association qui soutient les droits sociaux des personnes immigrées, puisqu'il suppose qu'une personne de la famille soit déjà en situation régulière». Dans beaucoup d'autres cas, parents et enfants arrivent ensemble sur le territoire. «Ils peuvent solliciter un titre de séjour pour beaucoup d'autres raisons que le regroupement familial, comme la maladie de l'un, ou de l'autre, etc.» poursuit la juriste. «Sans compter, reprend, plus prosaïquement une inspectrice de la direction régionale de l'action sociale d'Ile-de-France, tous les cas où le parent habitant en France a été rejoint par les siens, alors qu'il ne remplissait pas les conditions (de ressources, de logement, ou autres) exigées par la procédure du regroupement familial...» Or ce sont bien ces cas où le parent est en règle mais l'enfant pas tout à fait qui posent problème.

Claire Brisset, le défenseur des enfants, a elle-même souligné dans plusieurs de ses rapports la contradiction entre cette pratique et la Convention internationale des droits de l'enfant. Elle se heurte par ailleurs aux conventions bilatérales entre la France et certains pays... Plus gênant encore pour le gouvernement, les pressions juridiques : la Cour de cassation l'a malmené à deux reprises sur le sujet. Elle a ouvert une première brèche le 9 décembre 2003 avant de porter le coup de grâce dans un arrêt prononcé en assemblée plénière (sa forme la plus solennelle) le 16 avril 2004, qui explique que le défaut de certificat OMI ne suffit pas à refuser les prestations familiales.

Du coup, les CAF vivaient dans le paradoxe : elles continuaient de rejeter les dossiers mais de plus en plus d'allocataires obtenaient gain de cause devant les tribunaux. Si bien que le gouvernement, malgré les lourds enjeux financiers (voir ci-contre), a rédigé un décret, actuellement «à la signature», selon lequel les caisses se contenteraient du «document de circulation pour étranger mineur» (DCEM), que les préfectures délivrent gratuitement, pour 5 ans renouvelables, à condition que la situation du parent soit régulière.

Cette nouvelle disposition réglerait «70% à 80%» des situations selon l'analyse de la CFDT. Car le DCEM ne concerne que les enfants entrés en France avant 13 ans – avant 10 ans pour les Algériens et les Tunisiens.

lien : http://www.lefigaro.fr/france/20050226.FIG0046.html


La rétroactivité pourrait coûter plusieurs milliards d'euros !

Laurence de Charette - Le Figaro [26 février 2005]

«Si ce dossier a mis autant de temps à avancer, c'est surtout en raison des masses financières qu'il engage...» Michel Langlois, président de la caisse d'allocations familiales de Seine-Saint-Denis, sait de quoi il parle : plusieurs dizaines de dossiers de refus de versement de prestations familiales aux enfants mineurs d'étrangers sont actuellement au contentieux dans ses services. Depuis plusieurs mois, le président de cette caisse d'un département socialement sensible est partagé entre le coeur et la raison... D'un côté, ses services refusent tout versement de prestations si l'enfant de l'allocataire ne peut justifier d'un certificat de l'OMI. De l'autre, les services sociaux du département même – et les associations – poussent les familles à ouvrir des procédures pour obtenir gain de cause. Entre les deux, la commission de recours amiable de la CAf de Seine-Saint-Denis a pris les devants. Comme beaucoup d'autres caisses départementales, elle a commencé à accorder les prestations familiales sans le fameux document de l'OMI. «Si j'en crois le nombre d'appels et de dossiers que reçoivent mes services juridiques, explique également la présidente de la caisse des Hauts-de-Seine, le nouveau décret va entraîner beaucoup de nouvelles demandes.»

Par nature, le nombre d'enfants concernés (c'est-à-dire ceux qui ne sont ni nés en France, ni entrés dans l'Hexagone par la procédure du regroupement familial) est difficile à évaluer. Différentes estimations circulent toutefois sur les coûts potentiels entraînés par le nouveau décret : les plus alarmistes annoncent jusqu'à 3 milliards d'euros. Car l'assouplissement de l'obtention des prestations familiales va engendrer au départ un «effet de stock», selon les termes des spécialistes : les familles qui ne répondaient pas aux anciens critères vont représenter leur dossier. Elles y ont largement intérêt car certaines prestations sont rétroactives – dans certains cas, le rattrapage peut couvrir deux ans !

De plus, les droits s'enchaînent en cascade. Le fait qu'un enfant supplémentaire soit «reconnu» du point de vue de la Sécurité sociale change tout le profil de la famille : les allocations familiales suivent une courbe exponentielle en fonction du nombre d'enfants, le calcul des allocations logement est revu à la hausse, etc. En moyenne, une famille monoparentale touche 341 euros de prestations par an, contre 1 346 euros à partir de 4 enfants. Malgré tout, une fois traités les dossiers qui exigeront rétroactivité, le coût annuel devrait sérieusement diminuer. Au sein des services des affaires sociales et de l'intérieur, les fonctionnaires les plus hostiles au décret craignent toutefois que cet assouplissement de la règle administrative n'encourage encore plus les familles à contourner les dispositions du regroupement familial.

lien : http://www.lefigaro.fr/france/20050226.FIG0047.html